Max et Lenny, c'est Thelma et Louise qui n'auraient pas les moyens de s'offrir une décapotable et qui, au lieu de dévaler les kilomètres d'une route américaine interminable, dérivent entre les différentes couches de Marseille, des cités pourries aux beaux quartiers. Le film est le premier long métrage de Fred Nicolas, auteur de quelques courts et ancien assistant de Karim Dridi ou Erick Zonca. Il a été coscénarisé par l'écrivain François Bégaudeau.
Complémentarité. Lenny est une adolescente livrée à elle-même, qui vit avec un frère dealer de shit dans les quartiers Nord. Elle participe à ce commerce, fait la vigie en haut d'une tour pour repérer les flics et bandes rivales. Aucune autorité ne la borde, ni celle de l'école qu'elle vient de quitter ni celle de parents absents. Son seul cadre est celui de la rue, de ses codes et de sa violence où elle essaie de se faufiler. Adolescente, elle est mère d'une petite fille de 3 ans, placée en foyer, et passe ses nuits à rapper. Son personnage de jeune fille perdue et immergée dans sa musique a été inspiré à Fred Nicolas par la chanteuse marseillaise Keny Arkana, énervée et altermondialiste.
Dans le dossier de presse du film, François Bégaudeau écrit : «Qu'est-ce qu'il reste quand on n'a rien ou presque rien ? Il reste l'amitié, bien gratuit, à portée de tous. Richesse des pauvres. Il paraît qu'on apprend de nos parents, de nos maîtres, de nos chefs, de nos artistes. On dit moins qu'on apprend beaucoup de nos amis. On dit moins tout ce qu'on leur doit.» Cet apprentissage, Lenny la simili-autiste le fera au contact de Max, une jeune adolescente congolaise sans papiers qui joue à la mère pour ses petits frères et à la garde-malade pour sa grand-mère. L'une refuse toute responsabilité, l'autre en a trop. Cette complémentarité est la matrice de cette amitié naissante. Le film suit les pérégrinations du duo dans un espace explosé, hétéroclite, où elles sont des passagers clandestins.
Piscines des maisons de bourges, calanques vides ou supermarchés où elles chourrent ce qu'elles peuvent, tout cela forme le décor de cette relation fusionnelle marquée par l'urgence des ados qui n'ont rien. La réalité que filme Fred Nicolas n'est pas une fiction, elle a la dureté des quartiers Nord de Marseille, des voies sans issue où sont jetés les jeunes. Le réalisateur : «L'adolescence, l'âge des possibles, est aussi celui où l'on prend conscience des impasses. Où l'on ressent plus cruellement les injustices, où l'esprit d'aventure se heurte en permanence aux murs du quotidien et aux épreuves de la réalité.» Cette réalité est évidemment genrée, elle touche les filles davantage que les garçons, cantonnés à leur rôle de machos, de dealers et de mauvais garçons.
A fleur de peau. Petit récit initiatique, Max et Lenny offre le portrait de deux jeunes filles que la dureté de leurs vies va rapprocher, puis séparer. Il faut saluer les deux comédiennes, Camélia Pand'or et Jisca Kalvanda, excellentes, l'une meurtrie et à fleur de peau et l'autre rassurante. Dans sa modestie formelle, Max et Lenny prend une dimension politique, nous rappelle l'existence de cette France-là, qui risque à tout moment de se faire expulser, qui laisse ses ados abandonner le lycée. C'est un conte traversé par deux fées, mais les princes sont absents et encore moins charmants.
Arrêtée par la police, Max devra retourner au Congo tandis que Lenny va oser monter sur scène et rapper devant les garçons de son quartier. Il n'est pas ici question de victoire ou de happy ending, mais d'expression de soi, sans jamais demander d'excuses.