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Libération
Interview

Avi Mograbi : «J’ai vu pas mal de nanars avec mon père, qui était pourtant très conservateur»

Séance tenante Avi Mograbi. Le cinéaste israélien, né en 1956 et auteur de Pour un seul de mes deux yeux (2005), présente une installation à la Maison des métallos jusqu’au 5 avril, un cycle au Jeu de paume, «The Trouble With Avi» (jusqu’au 31 mars), et une intégrale en DVD parue chez Epicentre. Photo AFP
publié le 24 mars 2015 à 17h06
La première image ?

Harold Lloyd suspendu à l'horloge (dans Monte là-dessus !). Je crois qu'il s'agissait d'un ensemble de films muets projetés dans la salle que tenait mon père, le Cinéma Mograbi, au début des années 60. A l'époque, je n'étais pas friand de cinéma muet, mais, aujourd'hui, je pense que la grimace de Buster Keaton m'a conquis.

Le dernier film vu ? Avec qui ?

Traces, de Wang Bing, avec ma compagne, Avital, dans notre salon. Ce film ne sortira jamais en Israël, je l'ai donc téléchargé illégalement. J'aime beaucoup son travail, c'est un homme fou et merveilleux, qui met sa vie en jeu quand il s'agit de raconter l'histoire de la Chine contemporaine. Ce film ne fait pas exception, il est peut-être même plus dur que les autres. J'attends avec impatience le suivant. A la folie.

Le film que vos parents vous ont empêché de voir ?

Aucun. Au contraire, il m’arrivait de voir cinq ou six films d’affilée en 35 mm dans la salle de projection privée de mon père. Parfois, ils n’étaient pas faits pour les enfants, mais mon père, qui avait beau être très conservateur, ne m’empêchait pas de les regarder. J’ai vu pas mal de nanars avec lui.

Qu’est-ce qui vous fait détourner les yeux de l’écran ?

Des enfants tués par des scénaristes et des cinéastes pour faire une démonstration et vous donner une leçon.

Un rêve qui pourrait être un début de scénario ?

Mon film Dans un jardin je suis entré (2012) est en fait inspiré d'un rêve dans lequel je rencontrais mon grand-père, Ibrahim Mograbi, dans la maison familiale à Damas en 1920. Il me disait que la famille avait décidé d'émigrer en Palestine, et je lui répondais que c'était une mauvaise idée et que j'allais rester à Damas pour veiller sur la maison. Au réveil, je ne savais pas quelle langue nous avions parlée, car il ne parlait qu'arabe, et le mien était très rudimentaire.

Que faites-vous pendant les bandes-annonces au cinéma ?

Je mange mon pop-corn aussi vite que possible car je déteste les bruits de mastication pendant un film.

Dans la salle, une place favorite ? Un rituel ?

Enfant, je m’asseyais au milieu du premier rang, au balcon du cinéma paternel, qui contenait 1 089 sièges (on n’en trouve plus de cette taille-là aujourd’hui). Ado, je me suis rapproché de l’écran, comme les cinéphiles. A mon âge, il est difficile de lire les sous-titres, alors je me recule.

La séquence qui vous a empêché de dormir (ou de manger) ?

Tout le film Eau argentée, d'Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan. La guerre en Syrie dure depuis quatre ans, beaucoup de civils sont morts, ont été déplacés ou doivent chercher asile ailleurs, cela me brise le cœur.

Ce film que personne n’a vu et que vous tenez pour un chef-d’œuvre ?

Notre Nazi, de Robert Kramer (1984), un film incroyable et très confidentiel, qui ne ressemble à aucun autre. Seul Robert Kramer [cinéaste américain, 1939-1999, ndlr] est capable de ce genre de choses, dans de telles circonstances. Je le présente au Jeu de paume, à Paris, le 28 mars.

Le cinéaste dont vous n’oserez jamais dire du mal ?

Francis Ford Coppola, même si je déteste ses films des vingt dernières années.

Le cinéaste dont vous osez dire du bien ?

Toujours Coppola. C’est un génie, j’espère qu’il refera de bons films.

Le cinéma disparaît à tout jamais. Une épitaphe ?

Ce n’est pas matière à blague.

La dernière image.

Il n’y en a pas. Je veux en voir plus !