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Libération
Critique

«Le Challat de Tunis» : est-ce que les gens fessent égaux en droit ?

Portrait en creux d’un obsédé du postérieur, en forme de faux docu sur une vraie épidémie, le sexisme.
(Photo Abdel Belhadi)
publié le 31 mars 2015 à 17h26

Tunis, 2003, onze victimes tombent sous les coups d'un agresseur obsédé du fessier (l'énigmatique Challat), motorisé et armé d'une lame servant à lacérer les postérieurs féminins. La faute au jean trop serré ou à la tenue chiche en tissu, véritable pousse-au-crime qui, comme chacun sait, excite les esprits chafouins. Dans ce second long métrage de Kaouther ben Hania (après Les imams vont à l'école), la cinéaste tisse, à partir de ce fait divers, la trame d'un étonnant «documenteur» en forme d'enquête urbaine - à la manière de l'Hypothèse du Mokele M'Bembé (2011). Sous les verrous ou en liberté, cette légende urbaine se prête à tous les délires interprétatifs : «C'est la métaphore de notre culture arabe», avance un quidam au café du commerce. «Dans le Coran, il n'y a pas écrit balafrez-vous les uns les autres», lui rétorque-t-on.

Débusqué dans la maison familiale, un certain Jallel finit par revendiquer fièrement le méfait : la baudruche se dégonfle, le fier-à-bras se révélant un vieux garçon infantile, amoureux de sa mère. Le film fourmille de trouvailles ironiques, comme ce jeu vidéo prisé dans les cybercafés dont l’enjeu consiste à embrocher les postérieurs féminins les plus rebondis et donc indécents, en toute objectivité. Jusqu’au test urinaire administré à l’insu d’une épouse potentielle, gage de sa conduite irréprochable.

La dérobade du scélérat monomaniaque participe d’un égarement où se confondent vraisemblable et véridique. Ce brouillage des pistes permet à Ben Hania d’ausculter sa patrie post-révolution à l’aune de rapports hommes-femmes fortement inégalitaires. Un regard critique qui confronte du même coup le spectateur à ses propres stéréotypes (sur le Maghreb, la religion musulmane).

Au chevet d'une jeunesse égarée, le Challat prend l'inquiétant visage d'une frustration sexuelle chronique («heureusement que je m'en prends aux filles, sinon je m'en prendrais à moi», entend-on). Relayée par une démonstration par l'absurde, la satire s'emploie à opposer la rationalité à la misogynie, en démantibulant des discours aussi dérisoires que fumeux.