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Libération
Cinéma

«Jamais de la vie», déprime de précarité

Chronique sociale indolore, emmenée par un ex-syndicaliste reconverti en gardien de parking.
«Jamais de la vie» (Photo David Koskas)
publié le 7 avril 2015 à 19h26

Franck, vigile de nuit hagard dans un centre commercial, comate le jour dans une cité-dortoir où il répare les grille-pain des voisins à ses heures perdues, entre deux rasades de Jameson. D’une ronde à l’autre, il s’éprend d’une conseillère attentionnée à la caisse de retraite (Valérie Bonneton), elle-même sur la sellette financièrement. La solitude de fond de cet oiseau de nuit, ex-syndicaliste taciturne sur le carreau depuis la fermeture de l’usine, est fermement incarnée par Olivier Gourmet dans une partition de monolithe blessé tout à fait dans ses cordes.

Rotules. La tendance veut, parfois à raison, que l'on dépose sa caméra dans les marges pour y sonder le lointain écho des politiques publiques. Ce film droit dans ses bottes, le quinzième du réalisateur, se greffe sur la trame canonique du récit de banlieue, sans atermoiements ni éclats intempestifs. Pôle Emploi (et autres ersatz administratifs) cristallise dans une foule de films récents une stase toute franchouillarde, tour à tour cour des Miracles, cabinet psy et groupe de soutien (les Gazelles, les Règles du jeu, On a failli être amies). Louable est ce projet de radiographie d'une France sur les rotules, zone grise engluée, cadrée dans ses lignes de fuite, où les sans-papiers qui triment dans l'ombre sont traqués sans relâche pendant que fleurit la petite délinquance. Tout ceci, le déclin de la culture ouvrière combiné à la classe moyenne endettée et au moral des ménages dans les chaussettes, évoque en toile de fond le suicide des salariés d'Orange, les grévistes des abattoirs de poulets Doux, et, pourquoi pas, l'ensemble des mouvements sociaux de résistance et de solidarité qui se sont levés comme un seul homme ces dernières années.

Vigile. On a vu l'attentif Pierre Jolivet (Fred, Filles uniques) plus inspiré depuis Ma Petite Entreprise, comédie feel-good à succès qui le fit connaître au tournant des années 2000. Son objet, la crise, encore et toujours, et son écheveau de galères alimentant la misère, nourrissent ici un terreau édifiant à la gloire de l'héroïsme ordinaire et de la dignité des petites gens. La dramaturgie prévisible - signée de son complice Simon Michaël - s'enlise dans un sombre règlement de comptes qui fait de son vigile un vigilante, tributaire de son cahier des charges social-réaliste, alignant sa galerie de personnages croqués (Julie Ferrier et, tiens, Bénabar). A trop négliger les contours de sa mise en scène, Jolivet s'abandonne à des zooms intempestifs guettant les rides sur les visages et la petite phrase («La vie est incroyable») qui frisent, c'est fâcheux, la fausse modestie.