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Libération
Cinéma

«L’astragale», cavale bancale

L’adaptation par Brigitte Sy de la vie chahutée d’Albertine Sarrazin, écrivaine et superbe fugitive, manque de relief.
Reda Kateb et Leïla Bekhti dans «l’Astragale». (Photo Alfama Films)
publié le 7 avril 2015 à 18h16

«J'ai passé le quart de ma vie en prison, je suis passée au tribunal pour enfants, en correctionnelle, en assises. J'ai bagarré, j'ai soupiré, j'ai rigolé.» Une existence bien remplie, en somme, que s'est appliquée à mener Albertine Sarrazin, née à Alger en 1937, avant de prendre la tangente et de défrayer la chronique criminelle.

Michetonneuse. On doit à la romancière, bravache, d'avoir ouvert les vannes sur les conditions des prisons pour femmes, témoignant du quotidien des prostituées et d'une existence dans l'illégalité. Sans doute était-il temps de redonner corps à cette voix, disparue à 29 ans au faîte d'une vie usée jusqu'à la corde. Le star-system s'était déjà emparé à peu de frais de ces mémoires d'une gourgandine, avec Marlène Jobert débutant en michetonneuse chez Guy Casaril. Une relecture contemporaine de la publication de ses écrits en 1965 qui, sauf erreur, n'aura pas marqué les esprits.

Celle menée par Brigitte Sy s’ouvre sur une scène d’évasion nocturne où la jeune taularde prenant le large se brise l’astragale, précieux et fragile osselet du pied. De là se noue une idylle en cavale avec celui qui restera l’unique objet de son affection, le cambrioleur Julien Sarrazin (Reda Kateb). Et pour stigmate amoureux une claudication qui fit sans doute tout son charme. Cette Albertine-là n’a rien d’une jeune fille en fleur, condamnée à une vie d’errance parisienne à tapiner, guettant entre deux volutes d’opium son prétendant au turbin en province. Subsiste, de cet enfilage de magouilles, un plaisir certain à ressusciter l’argot des taulards sans s’abandonner au folklore désuet du titi parisien.

Que ce projet d'un portrait féminin hors norme se dérobe ainsi à son instigatrice est d'autant plus regrettable qu'il semblait l'habiter depuis longtemps. Un même tropisme carcéral imprégnait déjà les Mains libres (2010), premier long métrage inspiré des visites en prison de la comédienne et cinéaste, ex-compagne de Philippe Garrel. Voie royale vers la délinquance féminine et les gangs de filles, l'envergure de ce personnage de filoute taillé pour déborder du cadre échappe in fine à son interprète, Leïla Bekhti, en dépit du zèle et de l'application qui sont les siens à défaut d'allant, d'endurance ou de fureur de vivre déviante (celle de la Suzanne de Katell Quillévéré, par exemple).

Creux. Dans ce Bonnie and Clyde inversé, en lieu d'amour en fuite, le sentiment amoureux s'inscrit en creux, dans une attente qui peine à s'incarner. De cette matière puissamment romanesque - du pain bénit, pourtant - se déploie timidement une reconstitution noir et blanc figurant l'époque de la guerre d'Algérie - jamais évoquée -, qui finit par s'éteindre sans panache sur un carton quand son sujet même appelait une forme moins contrainte. Au risque de changer cette Albertine disparue en Arletty momifiée.