Une femme sensuelle au mari absent, interprétée par la sulfureuse chanteuse libanaise Haifa Wehbe, attise passion et folie. Ses poses lascives, sa poitrine, ses lèvres généreuses, sa longue chevelure ébène enflamment tout un quartier… En Egypte, il n'en faut pas plus pour s'attirer les foudres, non pas de la censure, mais du gouvernement égyptien. Halawat Ruh («la beauté de l'esprit»), une version égyptienne de Malena de l'Italien Giuseppe Tornatore, a été retiré des salles quelques jours après sa sortie, en avril 2014. Le Premier ministre, Ibrahim Mehleb, décide d'interdire le film et intime alors le bureau de la censure de revoir sa position. Pour le Conseil national égyptien pour l'enfance et la maternité, qui dépend du ministère de la Famille, Halawat Ruh présente «un danger moral» et pourrait influencer «négativement la morale publique».
«Cette ingérence du politique nous a tous surpris, surtout que le film n'est pas politiquement subversif, témoigne Ahmed Chawqi, jeune critique de cinéma. La censure avait accepté la projection du film. Le gouvernement a pris une décision qui n'était pas de son ressort.» Cet excès de zèle est assez inédit pour que de nombreux cinéastes se mobilisent en soutien au chef du bureau de la censure, le réalisateur Ahmed Awad. Ce dernier a démissionné après l'annonce de la suspension du film. «Je savais que j'étais dans mon bon droit et que la justice allait me donner raison, confie Ahmed Awad à Libération. Il y avait à cette époque une campagne médiatique féroce contre le film.» Le quotidien Masry al-Youm comparait le long métrage à un film pornographique.
Quelques mois plus tard, la justice égyptienne lui donnera raison. En novembre, une cour de justice revient sur l'interdiction du film Halawat Ruh. Et désavoue ainsi la surenchère politique et médiatique qui, comme souvent, propulse un film à l'intérêt limité en haut de l'affiche.
«Bien souvent, ce sont des fonctionnaires sans aucune sensibilité artistique qui ont le pouvoir de valider ou non un film», regrette une jeune réalisatrice égyptienne, en référence au bureau de la censure. «Mettre un réalisateur à la tête de cette institution était une manière de répondre à ces critiques», plaide Ahmed Awad. Mais rattrapé par ce casus belli, son mandat n'aura finalement pas excédé six mois.