Menu
Libération
Cinéma

«Blind», cécité dans le texte

Pour son premier long métrage, Eskil Vogt compile dépression et déjà-vu.
Ingrid (Ellen Dorrit Petersen) perd la vue du jour au lendemain dans «Blind» (Photo Kimm Saatvedt)
publié le 28 avril 2015 à 18h16

Le personnage principal, Ingrid, est une jeune femme qui est subitement devenue aveugle. On la saisit donc dans un moment de grande vulnérabilité et de blues, elle ne veut tout simplement plus quitter son appartement. Ses journées se passent à attendre son mari, assise près d’une fenêtre, la radio allumée afin de ne pas entendre le silence mortel de ces grandes journées oisives et solitaires, pour ne pas psychoter aussi sur le moindre bruit parasite qu’elle ne peut analyser.

Accrocs. Parallèlement, le film nous décrit d'autres vies que la sienne. Il y a Einar, un type à la peau grêlée, un peu lourd et mal dans ses pompes. Il passe le plus clair de son temps le regard absorbé par son écran d'ordinateur où défilent par centaines des bouts de films porno. Obsédé sexuel mais sans que le film ne porte là-dessus un jugement négatif, ce qui est suffisamment rare pour être noté (cf. l'horrible film américain Don Jon l'an dernier). Einar observe sa voisine d'en face, Elin, une mère célibataire venue de Suède s'installer à Oslo. Elle aussi s'affronte aux difficultés de l'individualisme contemporain et a du mal à ne pas finir seule sur son canapé face à sa télé le soir.

Le film entrelace les séquences et les trajectoires de ces personnages, mais des accrocs et anomalies dans le récit (Elin a d’abord un fils puis une fille) nous font comprendre qu’une partie de ce qui est raconté sort de l’imagination d’Ingrid, qui s’est mise à l’écriture d’un roman où elle finit par intégrer son propre mari, qu’elle imagine la trompant avec Elin, rencontrée sur un site internet.

Facture glacée. Blind est le premier long métrage du Norvégien Eskil Vogt, qui a cosigné les scénarios des films de Joachim Trier (Nouvelle Donne, Oslo, 31 Août et le prochain projeté en compétition à Cannes, Louder than Bombs). On reconnaît son écriture existentielle globalement dépressive mais riche de petits détails malaisants ou suffisamment bien sentis pour qu'ils frappent l'esprit.

Il n’empêche que le film, par sa facture glacée et la sophistication de son montage, est trop proche de ce que Joachim Trier a fait jusqu’ici pour ne pas lui être comparé et, hélas !, pas à son avantage. Ce que lui transcende par la mise en scène retombe ici en tristes vignettes qui donnent envie d’un double shot de Lexomil-lait de soja.