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Libération
Cannes

«Mediterranea», sur la ligne de flottaison

Quand les migrants débarquent en Italie profonde.
«Mediterranea»
publié le 19 mai 2015 à 20h26

Le sémillant Jonas Carpignano est un exemple de cinéaste métis et globalisé : cet Italo-Afro-Américain vit entre New York et Rome, et son film est parlé en partie en français, puisque ses personnages sont des migrants venus du Burkina Faso et cherchant du travail en Italie. Il avait été repéré avec un court métrage, A Chjàna, qui racontait la situation des travailleurs africains exploités en Calabre dans les orangeraies. Le film s'inspirait des émeutes de sans-papiers dans la petite ville de Rosarno, fin 2008 puis début 2010, après l'agression de deux d'entre eux, tués au fusil à air comprimé par des jeunes racistes italiens.

Cagettes. Carpignano a intégré une session du Sundance Screenwriters Lab pour développer son court en version long métrage, et Mediterranea arrive à Cannes quelques semaines après les grands naufrages tragiques de bateaux remplis de migrants entre les côtes africaines et européennes.

On suit deux Burkinabés, Ayiva et son ami Abas, depuis la première prise de contact avec les passeurs en Algérie jusqu'à leur arrivée en Italie, où ils doivent très vite essayer de se débrouiller. Et ce, bien qu'ils vivent dans des logements insalubres et qu'ils soient sous-payés de la main à la main pour cueillir les oranges, une paie évaluée au nombre de cagettes ramassées. Le film se veut circonstancié sur la débrouillardise des arrivants, les trocs et petits trafics, l'assistance des associations ; il ne passe pas non plus sous silence la difficulté pour les habitants de coexister avec une population qui débarque dans leur biotope local encore fortement marqué par les traditions rurales de l'Italie profonde. C'est d'ailleurs assez drôle quand, dans une scène d'altercation entre indigènes (Blancs) et groupe de migrants (Noirs), les seconds traitent les premiers de «campagnards de merde», soulignant soudain qu'il est toujours possible de répondre à un mépris par un autre.

Local. Dans la dernière partie, Ayiva, qui tentait jusqu'alors de faire le gros dos et de s'insérer en tant qu'ouvrier obéissant et exemplaire, explose et rejoint les émeutiers après qu'on leur a brûlé le local où ils s'entassaient à cinq dans 10 mètres carrés. Mediterranea ne parvient cependant pas à dépasser le cas du film-dossier. Il n'y a pas de faute de goût, mais pas non plus de moment qui donne, fût-ce une seconde, l'impression d'un regard singulier posé sur une situation qui gagnerait soit à être plus franchement fictionnalisé ou alors explorée par le documentaire, comme par exemple l'a fait Fernand Melgar dans l'Abri sur un refuge de nuit pour migrants en Suisse, et dont les situations décrites étaient autrement fascinantes.