Blaire, une gamine californienne, discute avec son copain sur Skype. Face à la webcam de son ordinateur, elle commence à se déshabiller, montre sa culotte, ouvre sa chemise pour lui montrer ses seins. En face, le garçon est torse nu, grassouillet et de plus en plus excité. Une scène de cyber-sexe va avoir lieu quand, d’un coup, d’autres internautes, des amis du jeune couple, s’invitent dans la conversation à distance, et s’ensuivent blagues graveleuses, réflexions creuses, ragots et insultes à la volée.
Toute la bêtise de la jeunesse américaine des suburbs résumée en quelques échanges verbaux. Mais ce néant prend une autre dimension quand, dans la liste des participants à la conversation Skype, apparaît un profil inconnu, sans photo d'identification. «C'est juste un bug», dit l'un d'entre eux. Evidemment non : ce profil réagissant curieusement se présente comme Laura Barnes, une de leurs amies qui s'est suicidée pile un an auparavant à la suite d'une campagne de bizutage sur les réseaux sociaux. Voilà les prémices, très classiques, de ce film d'horreur qui ne mise que sur sa forme, celle du computer screen movie. Soit un film qui ne montre qu'un écran d'ordinateur (ici, celui de Blaire). Unfriended ne sort jamais de ce cadre, construit un récit avec les dialogues iChat, les consultations frénétiques de profils Facebook ou les recherches Google.
Le film a été tourné dans une maison de la grande banlieue de Los Angeles, où les jeunes comédiens discutaient entre eux, chacun dans une chambre, se «filmant» eux-mêmes avec des ordinateurs. Le concept visuel n'est pas si inédit que ça, mais Unfriended fait de ce système relativement pauvre une toile à un suspense qui surenchérit sans cesse. La Laura disparue (clin d'œil à l'héroïne du réalisateur américain Otto Preminger ou à celle de la série Twin Peaks, de David Lynch, diffusée au début des années 90) revient et harcèle ses anciens amis, qu'elle juge responsable du bullying (brimades) dont elle a été victime, et cherche à les assassiner un par un.
Unfriended frappe par son arrivisme, sa manière de récupérer des expérimentations visuelles venues de la sphère indé, comme le court-métrage Noah ou la web-série The Scene, deux œuvres qui répondent au principe du computer screen movie. Mais cette esthétique-là se voit apposée à un univers plus mainstream : le film d'horreur pour, et avec, des adolescents.
Au cours du dernier festival South by Southwest (en mars), le réalisateur Levan Gabriadze expliquait d'ailleurs l'essence de son film : «Les adolescents ne vont plus dans des cabanes au fond des bois. Ils restent chez eux, dans leur chambre.» Chez le réalisateur, né en Géorgie et basé aux Etats-Unis, complètement inconnu des radars français, il y a évidemment une volonté d'esbroufe à vouloir ainsi actualiser, «mettre à jour» au sens informatique de l'expression, les Scream, Projet Blair Witch ou encore Souviens-toi… l'été dernier.
On n'est pas ici dans un cinéma d'horreur «auteuriste», l'esprit est trop racoleur. Mais le plus curieux est que cela marche plutôt bien, que le film fait sursauter, à défaut de vraiment terrifier. Unfriended est un objet qui aspire l'imagerie contemporaine numérisée, la prend comme un simple décor. Mais ce simple cadre est d'une telle richesse qu'il ne peut s'empêcher de déborder, d'innerver les ficelles trop faciles du film, sa structure convenue ou son dénouement final trop attendu.
L'œil guette l'heure qui défile en haut à droite de l'écran, ne peut s'empêcher de scruter les «likes» ou commentaires postés sur les profils Facebook que Blaire consulte dans la panique. Avec son ambition de teen movie supposément choquant, Unfriended présente une toute petite portion de l'immense attirail d'imaginaire qu'offre la sphère informatique, dévoile une part de notre propre voyeurisme face à la fabrication en ligne des personnalités.
Sur l'écran unique du film, les ados disparaissent un par un, sans que l'on comprenne, depuis l'ordinateur de Blaire, les circonstances exactes de leur assassinat. Les fenêtres des conversations Skype se brouillent avec les défaillances des webcams. Surgissent les glitches, des formes pixelisées qui donnent aux visages des apparences d'ectoplasmes, autant de présences fantomatiques et numériques que le cinéma tâtonne encore à convoquer.