Trente-trois ans après, que reste-t-il de John J. Rambo ? Pas celui qui s'apprête à combattre l'Etat islamique dans un futur Rambo 5 comme annoncé par Stallone il y a quelques jours, mais l'autre, celui qui rejoint son pays après la défaite avec un drapeau américain cousu sur la poitrine, le héros déchu du premier opus de la saga qui ressort cette semaine en (de rares) salles dans une version restaurée. Pour le savoir, nous avons… revu Rambo.
Un héros bio lo-fi adepte du do-it-yourself Dans l'imaginaire collectif, Rambo passe sans émotion d'un charnier à une explosion. Mais dans ce premier volet, le personnage ne tue point, se contentant de blesser les rednecks serviteurs de la loi dans la bonne ville de Hope. Vêtu d'une toge goudronnée à la couleur indéfinissable, il sillonne la forêt sans armes autres que son couteau, en précurseur de la décroissance et du survivalisme, recousant seul ses plaies, dévorant autour d'un feu de camp une cuisse de cochon sauvage tué au pal. Sans compter que Rambo rend moche ce qu'il représente : le temps est merdique, les rapports humains détestables, la notion de justice élastique. Au plus près d'un réalisme prisé des séries B, qu'on retrouve aussi dans des scènes minières éclairées aux allumettes, ou dans la musique de Jerry Goldsmith, qui fait écho à celle des Sept Mercenaires, construite autour de basses au piano squelettiques, laissant l'enflure des orchestrations musculeuses pour le thème principal.
«A quoi pensait Dieu en faisant un mec comme Rambo ?» crie le film. On penche pour Robinson + Thoreau + Clausewitz. Pour David Morrell, qui a écrit le roman dont le film est adapté, Rambo est l'archétype de ses étudiants revenus du Vietnam qui refusaient de se soumettre à son autorité de prof et dont il a perçu les symptômes d'un mal à l'époque méconnu : le stress post-traumatique.
Un pionnier de la guerre autoproduite
En étrillant des Viets (Rambo II), des soviétiques avec l'aide des talibans (III), et l'armée birmane (John Rambo), Rambo connecte sa saga à une vague actualité de l'état des conflits dans le monde. Mais son principal fait d'armes réside dans cette guerre de 1982, créée ex nihilo sur le sol reaganien, et vue comme une métastase du bourbier vietnamien, une relecture du chassé-chasseur à la Zaroff, ou une escalade tenant de la querelle de gosse où l'on se déresponsabilise en rejetant sur l'autre l'origine du premier sang (titre original : First Blood).
Le réalisateur, Ted Kotcheff, n'oublie pas de poser dans le décor les journalistes des premières chaînes d'info en continu, venus capter la légende. Par leur intermédiaire, Kotcheff dissout la grammaire du film dans celle du reportage télé, le temps de quelques plans. La légende de Rambo, trente ans plus tard, c'est celle de dialogues taillés au poignard de survie («Ce gars mangerait des trucs à faire vomir un bouc»), mais aussi celle d'un bébé culturiste effondré dans les bras de son supérieur, qui pleure en évoquant les tripes explosées de son copain et lâche : «Là-bas, je conduisais des chars qui valaient des millions, ici je ne peux même pas être gardien de parking.» Ted Kotcheff explique dans la version DVD : «En 1982, le public américain a compris que les vétérans du Vietnam avaient été traités mesquinement, qu'ils étaient les boucs émissaires de leurs sentiments négatifs sur la guerre.» Le réalisateur raconte aussi que les salles vibraient corps et viscères pour ce héros injustement traité. Depuis, le cinéma américain s'est souvent transformé en clinique pour guerriers vétérans. Mais, en 1982, Rambo est avant tout un exutoire à la mauvaise conscience américaine qui, après avoir pourri le retour de nombre de ses semblables, voulait que, au moins sur l'écran, celui-ci soit sauvé.