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Libération
Critique

Cinéphilie sans frontières

A Paris, un cycle de trois films d’horizons lointains, inédits en France et primés dans les festivals.
«Les Chants de ma mère», premier long métrage du Kurde Erol Mintas.  (Photo DR)
publié le 7 août 2015 à 18h16

Dans le milieu, non sans un soupçon de dédain, on appelle ça des «films de festivals». Soit ces œuvres destinées surtout à plaire au public de professionnels du circuit, souvent au prix d’un certain formatage, avec le mince espoir d’y taper dans l’œil enthousiaste d’un distributeur aventureux. Engagée dans la promotion de cinématographies minoritaires, et responsable de quelques belles découvertes (comme le Colombien de la Barra, Oscar Ruiz Navia), la société Arizona films a cette estimable initiative de proposer la découverte, au cœur de l’été parisien, de trois films remarqués et primés dans quelques places fortes festivalières, dont on peut juger qu’ils méritent mieux que cette étiquette, et la destinée qui va avec.

On n’en est pas tout à fait sûr quant au joli Aventure, du Kazakh Nariman Turebayev, soit une énième relecture des Nuits blanches de Dostoïevski, qui évoque trop une déclinaison scolaire du cinéma du maître local, Darejan Omirbaev, dont il fut l’assistant.

Dans Un coin de paradis, Miaoyan Zhang suit avec plus d'allant l'errance d'un gosse dans la nature bouffée par le béton d'une misérable campagne chinoise. La caméra posée juste derrière l'enfant, on suit sa quête de survie, ses rencontres à la Dickens, d'une bande de voleurs à une usine de briques. La violence à laquelle il est confronté, la boue qui envahit chacune des routes qu'il emprunte, la saleté qui couvre les murs, tout cela se voit ici inséré dans un grand récit, une épopée de la misère, au noir et blanc très (presque trop) travaillé. Apparemment filmé à l'improviste (le réalisateur n'a jamais eu les faveurs du bureau de censure national), on voit les regards de passants se poser sur l'enfant puis sur la caméra. Et dans les yeux anonymes interloqués, se devine le sentiment que cette errance n'a rien de fictionnel.

Enfin, des trois films proposés, le plus entêtant n'est pas celui qui présente, de prime abord, les dehors les plus vénéneux. Les Chants de ma mère, premier long métrage du Kurde Erol Mintas, observe la relation entre un homme lettré et son encombrante mère, inconsolable exilée qui erre dans leur appartement stambouliote au milieu des souvenirs possiblement inventés d'une vie villageoise qui n'existe plus et de la nostalgie d'un folklore disparu.

Il ne faut attendre nulle révélation fracassante de ce que le film a à ruminer et à dire de la mémoire, de l’assimilation culturelle, de la vie de vexations qu’endurent les Kurdes en Turquie et surtout de ce qui circule, se transmet ou se perd entre les générations. Les plans de ce beau conte sur le deuil impossible et la compagnie des vivants déjà perdus baignent dans un si délicat amalgame de tension et de douceur indémêlables qu’en découle le sentiment très sûr d’assister là à la révélation d’un cinéaste.