Aux confins ruraux du Pernambouc, au Brésil, existences humaines et éternités minérales s'interpénètrent en harmonie, jusqu'à donner l'illusion de s'échanger leurs propriétés : ainsi veut-on y croire que les récifs rocheux respirent grâce à quelques poumons sous-marins, et que la vie qui s'y écoule à l'ombre des cocotiers jouit d'une imperturbable immuabilité. Ce beau Ventos de Agosto, première réalisation colorée de fiction du documentariste brésilien Gabriel Mascaro, observe les faits et gestes de deux affriolants jeunes gens du cru, au gré d'un quotidien dont ils ne veulent pas deviner tout ce qui en lui agonise, s'érode, s'évanouit, malgré l'émolliente illusion d'une pérennité des éléments qui le composent - soleil de plomb, fonds océaniques aux insondables trésors, forêts venteuses. Pleins de cette candeur, Shirley et Jeison mènent une vie tissée d'ennui tranquille, de labeurs agricoles et d'extases physiques sirotées au milieu de récoltes de noix de coco qui, embrassées par une caméra à la verticale, ressemblent diablement à un amoncellement de crânes. Elle, qui habite avec une grand-mère âgée dont elle a la charge, se rêve tatoueuse et s'exerce la nuit à même le cul des cochons. Le jour, elle s'échappe dès qu'elle le peut pour aller dorer au soleil, enduite de Coca-Cola en guise d'agent bronzant de fortune, tandis que lui plonge de l'étroite barque où elle rôtit pour pêcher la pieuvre en apnée, quitte à tomber, un jour, sur un os, ou même un cadavre sans nom. La bourgade où ils résident accueille parfois d'étranges figures de passage : un jeune représentant cherche à monnayer ses reproductions de l'image des proches disparus des villageois, lesquels ne comprennent guère pourquoi il leur faudrait payer pour se souvenir ; un chercheur à lunettes plante ses micros sur la place pour enregistrer le chant des vents, affairé au projet de fixer ainsi ce qui vraiment ne fait que passer. Le film s'écrit d'abord comme par une suite de notations tantôt drôles, tantôt graves, souvent d'une sensualité très sûre. D'éparses miniatures de cette vie séculaire, grandes ouvertes sur la palpitation du décor, qui s'amoncellent et s'imbriquent comme une suite radieuse de vanités pour former le tissu d'un récit minimal. En fait une méditation éthérée sur l'impermanence de toute chose, travaillée par cette promesse, formulée par la mer aux jeunes gens insouciants, de tout engloutir à terme, tout rappeler à elle.
Critique
Qui sème le vent, récolte la trempette
par Julien Gester
publié le 25 août 2015 à 18h06
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