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Avec «Jamais entre amis», Leslye Headland redynamise brillamment la comédie romantique, servie par un duo d’acteurs parfaits.
publié le 8 septembre 2015 à 17h06

Amis orphelins de la comédie romantique - la «romcom» de son petit nom -, ce genre jadis glorieux des années 50 (Sabrina, de Billy Wilder) aux nineties (Pretty Woman), de Irene Dunne à Drew Barrymore, ce film est pour vous. Si vous ne vous êtes jamais remis de la fermeture de l'UGC Orient-Express, dernièrement le seul cinéma parisien à programmer en VO ces films à la facture honnête et aux titres français peu imaginatifs, où des couples «que tout opposait» finissaient par se rendre à l'évidence peu avant le générique de fin, à coups de répliques bien troussées, de seconds rôles savoureux et d'alchimie des corps, courez-y. Parce que c'est un genre tombé en désuétude à Hollywood depuis une quinzaine d'années, malgré quelques incursions aussi rares que chéries, souvent dues à Hugh Grant ou à Sandra Bullock. Plus assez rentable, paraît-il.

Hommage. Leslye Headland, elle, y croit encore. La scénariste-réalisatrice de Jamais entre amis (dont elle ne cache pas le caractère autobiographique) inscrit son histoire dans la veine contemporaine principale du genre, celle où la question amis/amants se rejoue continuellement. Venant après Sex Friends et Sexe entre amis (films jumeaux sortis en 2011), qui surfaient exactement sur la même problématique (pour se protéger de l'amour, ne soyons que partenaires sexuels), elle la reconfigure ainsi : puisque nous sommes sex addicts, infidèles, irrécupérables, évitons le désastre en ne couchant pas ensemble.

Mais on parle là comme si Quand Harry rencontre Sally n'avait jamais existé, et c'est peut-être le mérite premier de Jamais entre amis : s'assumer comme un hommage et une véritable variation 2015 du film séminal de Rob Reiner. Même rencontre à l'âge crucial pour tout Américain, celui de l'université, avant de se perdre de vue et de se recroiser par hasard plusieurs années plus tard. Comme leurs «grands-parents» Billy Crystal et Meg Ryan, Jason Sudeikis et Alison Brie (lui blasé et brillant, elle lumineuse et dérangée, tous deux parfaits) se confient leurs déboires sentimentaux et regardent des films en partageant un pot de crème glacée. Jamais entre amis s'essaie même à la scène d'anthologie capable de rivaliser avec Meg Ryan simulant un orgasme au restaurant (ici, une leçon de masturbation via une bouteille de thé glacé) et remporte le défi.

Lingerie. En passant, les us et coutumes locaux en matière de drague se retrouvent joyeusement épinglés : «Tu as du vocabulaire et tu es canon en débardeur» sera la définition de la femme idéale par le mâle hétérosexuel américain, voire new-yorkais. Et les grandes tirades écrites au cordeau sur les relations amoureuses et sexuelles se voient idéalement ponctuées de références à la pop culture - les séries télé sont passées par là.

Voilà comment une théorie en trois points sur l'hypocrisie monogame convoque Sydney Bristow (héroïne de la série Alias au début des années 2000), ou que le scénariste superstar Aaron Sorkin se retrouve malgré lui lié à un essayage de lingerie cathartique. Tandis que tout cela fuse, un anti-happy end pointe même le bout de son nez avec une belle mélancolie avant d'être supplanté in extremis par la résolution attendue : ouf, soulagement. C'est une vraie romcom. Une vraie de vraie, la meilleure depuis des années.

Jamais entre amis de Leslye Headland avec Alison Brie, Jason Sudeikis, Adam Scott… 1 h 41.