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Libération
Éditorial

Oscars : Jean-Jacques Annaud en champion chinois, ça hérisse le poil

Le réalisateur français Jean-Jacques Annaud signe des autographes le 18 août 2009 à Pékin (Photo Liu Jin. AFP)
publié le 21 septembre 2015 à 19h26

Les Français sont-ils en train de devenir les meilleurs cinéastes chinois ? La question commence à se poser sérieusement au vu des choix du Bureau du film à Pékin, chargé de désigner chaque année le meilleur candidat pour défendre les couleurs nationales dans la course à l’oscar du meilleur film étranger.

Faisant place nette l'an dernier, évacuant Zhang Yimou et son Coming Home ou encore le Black Coal de Diao Yi'nan qui avait remporté l'ours d'or à Berlin, la Chine avait créé la surprise en jetant son dévolu sur Philippe Muyl et son gentillet Promeneur d'Oiseau. Fin août dernier, le Hollywood Reporter annonçait que cette année, il ne faisait guère de doute que Jean-Jacques Annaud et sa fresque à poil dur, le Dernier des loups, serait l'heureux élu. Encore un Français, il est vrai internationalisé depuis longtemps, aussi l'info n'a-t-elle fait sursauter personne vu que ce film tourné dans les steppes mongoles et se déroulant pendant la Révolution culturelle, est une commande d'Etat et que l'essentiel de son budget de 38 millions de dollars a été directement décaissé, via China Film Group, par le ministère des Finances.

Ses performances au box-office national (il est en onzième position, précédé pour l’essentiel par des superproductions américaines) est aussi le genre d’ argument objectif censé clore tout débat avant qu’il n’ait lieu.

Pourtant, lors de son passage au festival de Toronto où il montrait son dernier film, Mountains May Depart, le cinéaste Jia Zhang-ke a fait part de sa mauvaise humeur au correspondant du South China Morning Post, qualifiant d' «injuste» une annonce prématurée qui laisse sur le flanc tout autre candidat potentiel. D'autant que l'annonce officielle ne doit pas être faite avant le 1er octobre.

Au moment de la sortie française du Dernier des loups, Annaud avait claironné à quel point il avait eu les coudées franches et n'avait affronté aucune censure. La situation de Jia Zhang-ke est nettement plus compliquée. Son fabuleux Touch of Sin, peinture au vitriol des égarements d'une société inégalitaire et violente dans la Chine contemporaine, n'avait subitement pas pu être distribué dans le pays en 2013, mettant la production dans une fâcheuse posture financière et en fureur un cinéaste qui avait espéré jouer les éveilleurs de conscience. Depuis 2010, aucun de ses films n'a percuté un réseau de salles pourtant en perpétuelle expansion.

Estimant qu'il fallait faire taire le gêneur, le producteur du Dernier des loups, Wang Weimin, a immédiatement contre-attaqué sur le réseau social Weibo, publiant différents messages désagréables où il qualife Jia Zhang-ke de «spécialiste des prix à l'étranger», affirmant qu'il faisait des films si «obscurs» et si «profonds» qu'il n'avait jamais réussi «à en regarder un jusqu'au bout». Il est vrai, à ce compte-là, qu'il vaut mieux fabriquer à coups de subventions officielles des cartes postales idiotes au kilomètre.