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Libération
Critique

«Le Caravage», esprit de selle

Alain Cavalier capte avec empathie l’intimité entre Bartabas et son cheval lors de séances de dressage.
Un film silencieux, sans l’ombre d’une explication qui viendrait briser le songe. (DR)
publié le 27 octobre 2015 à 19h16

L’affiche du film est splendide : une main d’homme sur la joue d’un cheval - il s’appelle Caravage. Et le regard baissé de l’animal sur cette main. Que voit-il ? Que voit-on ? Une conversation tactile. Si évoquer la joue de cheval n’est pas fautif, on hésite à employer le mot «gueule» pour qualifier le visage du cheval, tant Alain Cavalier s’attache à filmer sa délicatesse, ses traits, son expressivité. Est-ce qualifier la relation du cinéaste à l’animal, qui, depuis longtemps a coupé court avec les films à casting et ficelles, mais qui filme Caravage en très gros plans, comme la plus magnifique des stars ?

C’est un film silencieux, sans l’ombre d’une explication qui viendrait briser le songe. Il faut être capable de vie intérieure pour contempler, durant une heure dix, le cheval, sa danse, sa dentition, ses muscles, le tressage de sa crinière, et entrer dans le regard d’Alain Cavalier. Peu de suspense, peu de progression, mais un moment d’effroi, dû à l’art de la caméra : ainsi voit-on en contre-plongée une scie entrer dans la mâchoire de Caravage. Car, contrairement à celles des humains, les dents de chevaux poussent tout le long de leur vie, donc il faut les leur couper, comme des ongles. Avoir des dents de cheval, c’est donc avoir des dents qui poussent.

De même, les sabots. S’est-on déjà demandé comment effectuer une pédicure sur un cheval ou plus simplement lui couper la corne ? Non. C’est pourtant une tâche nécessaire. Si on est fatigué, rempli de bruit et de fureur, le film a un effet apaisant. Rien à comprendre, tout à regarder. De récit, point. De mouvements, beaucoup. Si le cheval apprend de nouveaux pas, on ne voit cependant pas le dressage. L’homme qui s’attelle aux apprentissages chevalins s’appelle Bartabas, la caméra le filme à peine, et jamais la totalité de son être. Alain Cavalier le montre beaucoup moins souvent que son cheval et s’attarde très peu sur son visage (ou sa gueule). Le regard de l’animal est le centre du film.

Le spectateur a tout le temps de réfléchir à comment sont montrés d'habitude les animaux au cinéma. Avec maintes paroles pour combler le silence des bêtes. C'est peu dire qu'Alain Cavalier ne tombe pas dans ce travers. A la fin du film, Caravage s'approche de l'objectif et le lèche. L'image devient floue. «Un baiser», dit Cavalier.