Ophir Levy, 36 ans, enseigne l’esthétique et l’histoire du cinéma à Paris III.
«Le Fils de Saul marque un moment. D'abord, il s'attaque au sujet le plus sensible possible, les Sonderkommando. Ensuite, il ne relance pas le débat quant à la possible représentation. Sommes-nous dans un moment d'apaisement ? Le simple fait que ce soit une fiction ne suffit plus à le condamner…
«Nemes a 38 ans, il appartient à la génération des petits-enfants. Le rapport à la mémoire n’est pas le même que pour les rescapés ou leurs enfants. Cet écart temporel permet de retourner à une fiction au premier degré. Le film signe un moment de bascule où des voix vont peut-être apparaître, alors que les derniers rescapés vont disparaître.
«Mettre en images la déportation date de l'après-guerre immédiate, et la fiction s'en empare tout de suite. Peu de cinéastes sont passés par les camps, même si on pense à Marceline Loridan-Ivens, Roman Polanski, Wanda Jakubowska… Cette dernière est très importante. En 1947, elle tourne la Dernière Etape sur les lieux mêmes. Jusqu'à la fin des années 80, Auschwitz a servi de décor à de nombreuses fictions. Dans le making-of d'un film américain de 1989, Triumph of Spirit, on voit des images de l'équipe en train de jouer au foot pendant les pauses entre des baraquements.
«Le Fils de Saul rapproche deux moments : août 1944, quand ont été pris les clichés par des prisonniers, et octobre, date de leur révolte. Présenter les deux événements comme immédiatement successifs, n'a qu'un intérêt : dramaturgique. Et cela pose question. D'une force intense, Le Fils de Saul est un film opaque. Il n'éclaire jamais, mais permet quelque chose, de rarement tenté au cinéma, même celui de la Shoah : un éprouvé physique.»