Menu
Libération
Résistance

«Francofonia», dernière folie de Sokourov

Entre passé et présent, le Russe s’égare dans sa passion pour la vieille culture patrimoniale.
«Francofonia» (DR)
publié le 9 novembre 2015 à 19h16
(mis à jour le 11 novembre 2015 à 11h43)

Francofonia évoque, entre autres considérations, la collaboration forcée, à partir de 1940, entre un conservateur du Louvre droit dans ses bottes, Jacques Jaujard, et son homologue nazi, le comte Franz Wolff-Metternich - le premier ayant assuré, avec l'aval du second, la sauvegarde des œuvres du musée, remisées en province, face à la menace du pillage et de la destruction. A ce récit s'entremêlent passé et présent, convoqués entre les murs du musée qu'arpente Napoléon à quelques pas de la Pyramide. De ferventes interventions du cinéaste professant sa francophilie en voix off guident la narration et évoquent l'influence sur sa cinéphilie des visages de la peinture classique, ceux immortalisés par le Radeau de la Méduse de Géricault ou la Liberté guidant le peuple de Delacroix.

Pâtre de l'âme russe, Alexandre Sokourov posait en 2012, avec le coup de force de Faust, un jalon final à sa tétralogie composée de Moloch (1999), Taurus (2000) et le Soleil (2005). Par ses motifs picturaux plus que par son dispositif, ce manifeste rappelle l'Arche russe (2002), plan-séquence virtuose d'une heure et demie réalisé au musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg. L'expérience esthétique de Francofonia, projet d'envergure plus modeste et commande du Louvre, s'impose moins fortement : sa matière dépareillée, entre captations contemporaines et images d'archives, pâtit notamment de confrontations ratées, comme celle réunissant dans un même plan Marianne et Napoléon.

Le cinéaste de 64 ans déclarait au dernier festival de Venise vouloir rendre hommage à la résistance face à la culture dominante américaine, mais surtout à la «barbarie» de l'Etat islamique, qui détruit les vestiges archéologiques de la cité de Palmyre. Sokourov a tour à tour manifesté son soutien et ses doutes vis-à-vis du pouvoir exercé par Vladimir Poutine, un propos politique nébuleux que n'éclaircit pas cette ode poussiéreuse à la culture patrimoniale, pétrie d'une fascination datée du grand art comme ciment des civilisations. Européen convaincu, Sokourov l'est sans doute, pas sûr néanmoins que cette conviction passe forcément par une telle exaltation du Vieux Continent.