Les New Territories sont une zone-tampon. Ils relient l'île de Hongkong à la Chine continentale, le délire continu des buildings de la baie autrefois britannique aux usines de Shenzhen, et par là à un pays-continent entier. Autrefois espaces vides, simple jungle, ils sont aujourd'hui traversés de tours d'habitation, où s'entassent des millions de travailleurs. Cette zone est un fantasme d'urbaniste postmoderne juché entre deux mondes réunis depuis la rétrocession de 1997 sous la fameuse bannière «One country, two systems».
Dans New Territories, son premier film, la Française Fabianny Deschamps filme cette frontière qui, malgré les réglements hongkongais sur l'immigration reste poreuse, au prix de tant de sacrifices de migrants. Elle entrecroise deux histoires : d'abord, une jeune cadre française vient à Hongkong pour représenter et vendre des machines «aquamation», un procédé qui remplace la crémation. Ensuite, une jeune femme d'un village perdu rêve de changer de vie et se lance dans un terrifiant et illégal voyage vers l'exil.
Doublures
La réalisatrice française a écrit le film après la lecture d’un article sur un commerce des morts à l’œuvre en Chine. La Révolution culturelle avait interdit l’ensevelissement et prôné la crémation. Mais, les traditions s’en voyant bousculées, et les morts ne trouvant pas de salut selon les croyances, s’est développé un terrible marché. Etaient assassinés marginaux, clochards, vieux ou handicapés, pour que les familles aisées puissent brûler leurs corps devenus doublures du défunt aimé qui, lui, trouvait une sépulture.
Cette horreur, Fabianny Deschamps la filme avec empathie, au point que sa caméra devient subjective. Les trajectoires de ces deux femmes qui n'ont rien à voir s'entremêlent, se confondent. Il est question de fantômes, d'êtres disparus qui flottent dans les airs et suivent les vivants, qui les hantent pour trouver le repos. Au-delà des maladresses, le plus intéressant dans New Territories est que la modestie de la mise en scène n'est jamais un frein à la liberté du regard de sa réalisatrice. Avec une petite caméra Canon 5D, elle a filmé sans autorisation en Chine populaire, proposant des instantanés de ruelles cradingues.
Mélancolie
Dans la première moitié du film surtout (la seconde étant accessoire), Deschamps filme son actrice marchant dans Hongkong, sur les trottoirs aériens ou dans lesshopping malls. De la mégalopole magnétique, elle montre, avec douceur, comment l'obsession du fric, de la surconsommation, la cohue incessante peuvent former un cadre à une mélancolie tout actuelle. C'est dans ces moments logotisés et dégoulinants de néons que le film trouve une justesse, en plus de donner une énième preuve de la cinégénie du territoire de Hongkong.