Présenté en compétition à Cannes en mai sous le titre menaçant de Louder Than Bombs, modifié après les attentats pour un plus consolateur ou rassurant Back Home, ce troisième film du réalisateur norvégien Joachim Trier, remarqué avec Nouvelle Donne (2006) et Oslo, 31 août (2011) est son premier en langue anglaise. Il a été tourné aux Etats-Unis, et au générique figurent des stars internationales facilement reconnaissables : Isabelle Huppert, Gabriel Byrne et Jessie Eisenberg.
En gros, Back Home a l'apparence d'un rite de passage, d'une tentative de démontrer la capacité de Trier à se détacher de son périmètre géographique nordique, et à s'imposer comme une signature d'une cinéphilie occidentale.
Tirages. Cette ambition résume à la fois le problème et la qualité de Back Home. Il est évident que le réalisateur parvient avec une certaine force à transplanter l'esprit malaisant (dont il est coutumier) dans une banlieue friquée américaine. De cette zone verte, où les pelouses sont dessinées au cordeau, où les ados s'ennuient dans des fêtes et boivent dans des gobelets de plastique rouge, Trier fait le décor d'un ballet un peu glauque. Un père de famille élève seul son fils adolescent, son aîné étant adulte, prof de fac et jeune père. Isabelle Reed, la mère, est morte deux ans auparavant, elle était une célèbre photographe de guerre, et une galerie new-yorkaise s'apprête à organiser une exposition en l'honneur de ses clichés. Le New York Times, pour lequel elle couvrait guerres et massacres, va publier un article à cette occasion, et devrait mentionner le fait qu'Isabelle Reed se serait suicidée. Les trois hommes se retrouvent à devoir fouiller dans la chambre noire de leur épouse/mère pour trouver des tirages ou négatifs inédits. Trier met en scène un ensemble de nœuds, de non-dits, de rancœurs. Le fils aîné a du mal à assumer sa nouvelle paternité, veut tout gérer et n'y arrive pas. Son petit frère s'enferme dans les jeux vidéo, reste mutique face à l'écroulement de sa famille. Le père, lui, est largué. Back Home est fait d'allers-retours entre la crise et des scènes où Isabelle était encore vivante, et il suffit de quelques instants pour comprendre que tout n'était pas si rose.
Solitude. Au fond, ce qu'il y a de gênant dans Back Home n'est pas la manière dont Trier distille un malaise. C'est davantage le fait qu'il en balance trop, et tout le temps. Son académisme, notamment visuel, ne contrebalance jamais le sentiment d'être perdu, en permanence gavé de choses qui vont mal. La caméra veut faire rentrer dans son champ tous les drames inhérents à cette famille, tient à les faire tenir ensemble comme les pièces d'un jeu de construction. Mais ce Meccano n'est jamais stable, s'empêtre dans trop de références à des auteurs trop souvent parodiés (Haneke, Van Sant…) ou un genre quasi éculé (la crise de nerfs familiale en banlieue).
Trier, homme intelligent et conscient de son talent à frapper les esprits, refuse de faire un «film à thème» mais cherche néanmoins à articuler un discours sur l’époque, sa dépression et sa désorientation. Il offre de traiter de l’amour maternel comme de la solitude du reporter de guerre, du mutisme adolescent comme du poids du secret. Malheureusement, tout est de fait simplement effleuré, et aucune des ramifications de son récit, feuilletant le catalogue d’une crise multiple, ne fonctionne pas vraiment.