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Ciné / «Studio 54», resucée acide

Semi-flop à sa sortie, en 1998, le film de Mark Christopher ressort cette semaine, délesté des coupes puritaines imposées par la production de l’époque.
Ryan Philippe dans «Studio 54» (MIRAMAX)
publié le 11 décembre 2015 à 17h36

C'est un film presque oublié. Il ne s'agit pas d'un chef-d'œuvre underground exhumé, mais plutôt l'inverse. En 1998 sort Studio 54 de Mark Christopher, une production Miramax qui promet une immersion dans le mythique club new-yorkais de la fin des années 70, avec fracas de corps et de came, disco et baises pré-sida. Pas de quoi fouetter un chat. Mais le film se fait laminer par la critique et le public n'y trouve que peu d'intérêt. De Studio 54 il ne reste alors que le souvenir, un peu vague, du corps dénudé de son acteur principal, Ryan Phillippe. Heureusement, est sorti mercredi en France le director's cut du film et il n'a rien à voir avec la version de 1998. Il est de loin meilleur. Parce que plus drôle, plus triste, plus cul, plus à même de nous emporter dans le torrent d'une fête qui nous est inconnue.

Plouc. Au milieu des années 90, l'inconnu - il l'est resté - Mark Christopher signe le projet pour Miramax. Le tournage se déroule à Toronto sans trop d'encombres, à ceci près que les acteurs masculins, toujours en microshorts lamés, se les gèlent : le froid est insupportable. Au montage, les redoutables frères Weinstein, alors à la tête de Miramax, font procéder à des coupes drastiques, changent la fin, imposent de refilmer certains plans. Pour ne pas affoler le grand public, ils enlèvent les scènes de sexe, notamment homosexuelles, retirant au film toute sa dimension corrosive.

D'après le site Vulture, qui consacrait un long article au sujet, les tests publics, courants aux Etats-Unis, auraient été effectués à l'époque dans des salles peu propices aux scènes de partouzes ou aux amours enflammées entre stripteaseurs et ouvreuses. Le film sort et ne marche pas autant qu'espéré. Toujours selon Vulture, aurait alors circulé, pendant des années, une version pirate en VHS du montage original.

Le Studio 54 remanié qui sort cette semaine, est expurgé des ajouts des Weinstein - ils ont quitté Miramax en 2005, d'où l'autorisation actuelle - et Ryan Phillippe, 41 ans, a enregistré la voix off. On imagine la drôle d'impression qu'a dû avoir l'acteur à la carrière et au corps aujourd'hui évasifs, de faire la voix pour un film où il n'a jamais été aussi beau.

Dans Studio 54, il est Shane, un plouc du New Jersey qui atterrit par hasard dans le club. Pour le laisser entrer, Steve Rubell, le patron polytoxicomane et polysexuel (voire polychrome les lendemains de fête) lui demande de retirer sa chemise. Shane obéit et ne la remettra jamais. Il devient «Shane 54», le poster boy du club. Le film suit son ascension et sa chute droguée et bisexuelle, ainsi que le triangle amical et amoureux qu'il forme avec un couple de collègues. Christopher filme l'indécence des lieux de fête. Mais cette dernière n'a rien à voir avec les extravagances qui s'y déroulent, plutôt avec la violence sociale à l'œuvre: les bourges s'amusent avec le petit peuple, invitent leurs jolies gueules à table pour s'en moquer. Le rêve de libération hédoniste est d'emblée avorté. Le director's cut de Studio 54 est clairement superficiel, mais il se situe justement au niveau de son sujet. Et c'est dans le vide de la nuit new-yorkaise qu'il émeut souvent.

Pop. En 1998, Studio 54 opérait un retour vers les seventies. Le voir aujourd'hui, c'est faire un flash-back vers les années 90 et contempler le bestiaire qui représentait la pop culture d'alors : Mike Myers (Austin Powers), génial patron de club dégueulant alors qu'il s'apprête à sucer son employé, Neve Campbell (Scream, Sex Crimes) en actrice ambitieuse, Salma Hayek en employée de vestiaire qui lance à un client : «Comment voulez-vous que je retrouve votre veste ? Des manteaux en cuir avec des fioles de poppers, il n'y a que ça !» Et, surtout, Ryan Philippe, splendeur à la gueule d'escort boy. A posteriori, la manière dont ils offrent leurs corps à la caméra, mélangeant innocence et carriérisme (sans grand succès pour beaucoup d'entre eux) est aussi touchante que la façon dont les New-Yorkais s'engouffraient sur le dancefloor du 54 pour changer de vie, ne serait-ce que pour une nuit.