S'il ne recueille pas toujours nos faveurs, le cas actuellement à part dans le paysage hollywoodien de David O. Russell, bardé de nominations aux oscars et adoré du public américain, mérite d'être instruit. Au New-Yorkais de 57 ans, dont la carrière n'a plus rien d'indé sinon quelques faux-semblants savamment entretenus, on peut reconnaître à la fois une indéniable virtuosité de directeur d'acteurs et une certaine persévérance dans l'écriture d'une histoire américaine, celle de la résilience hors norme de ses working class heroes, virant parfois au sentimentalisme criard. Dans le cas présent, son nouveau film, Joy, affiche ce double programme : d'une part la success story de Joy Mangano, entrepreneuse américaine d'origine modeste et géniale inventrice du balai à vapeur (le bien nommé miracle mop), révélée grâce à une chaîne de téléshopping ; de l'autre, l'argument de vente imparable du biopic «feel good» sorti pile à temps pour les fêtes.
Truculence. Fillette aussi débrouillarde et manuelle que dévouée à sa famille, Joy (Jennifer Lawrence) abandonne rapidement ses rêves de bricoleuse pour trimer au chevet de ses parents : comptable au garage paternel puis réceptionniste à l'aéroport, elle est aussi à mi-temps auxiliaire de vie auprès d'une mère qui vit cloîtrée dans sa chambre. Fasciné par la comédie italienne dont il tente de transposer la truculence hystérique au cœur du prolétariat américain, Russell exulte visiblement à peindre ce microcosme survolté où cohabitent sous le même toit plusieurs générations au bord de l'implosion, de la grand-mère de Joy à son ex-mari (Edgar Ramirez, penaud), chanteur lyrique installé au sous-sol. Sur le modèle de la mère claustrophobe rivée à son petit écran, où elle vit par procuration depuis des années une version de la saga familiale Dallas, Russell pousse la dimension du soap opera jusqu'à une forme d'autocitation parodique.
Au milieu de cette foire d'empoigne, on peut surtout savoir gré au cinéaste d'avoir repéré une nature chez la fringante impétrante Jennifer Lawrence, qui aura tour à tour joué chez lui une veuve maniaco-dépressive sur le dancefloor (Happiness Therapy), une épouse de mafieux choucroutée (American Bluff) et ici une mère de famille célibataire aux abois exploitée par ses proches. Ce qu'on lui reproche, en revanche, outre une tendance à lui confier des rôles de plus en plus caricaturaux, serait plutôt d'user jusqu'à la corde la même combinaison gagnante tout en donnant la désagréable impression d'avoir à chaque fois tiré le gros lot côté casting : à savoir sa pouliche J-Law, son fidèle Bradley Cooper et Robert de Niro en patriarche gâteux.
Tapageurs. Dans la foulée des hits de ses deux précédents films après une longue traversée du désert, le cinéaste s'installe aujourd'hui dans la redite des mêmes motifs artificiels et tapageurs. Ecrit avec Annie Mumolo, la coscénariste de la comédie Mes Meilleures Amies, cet édifiant portrait («dédié à toutes les femmes») de desperate housewife érigée en exemple n'échappe pas non plus à sa dose de démagogie - que l'on est certes en droit de trouver de circonstance à l'heure de la bûche.