Bulle Ogier
Sa partenaire dans «Maîtresse» (1975)
«La première fois que j'ai vu Gérard, c'est sur scène, dans Sauvés d'Edward Bond, que Claude Régy avait mis en scène en 1972. Ça a été une telle révélation que pendant quelques semaines, je ne pouvais pas m'empêcher de parler de cet acteur inconnu à Barbet Schroeder. Je l'imitais, lui montrais sa manière de jouer absolument pas théâtrale, qui m'avait sidérée et séduite. Si bien qu'au bout d'un moment, ne serait-ce que pour varier les sujets de conversation, Barbet ne pouvait plus faire autrement que de se déplacer pour le voir à son tour. Et il lui a tout de suite proposé de jouer mon partenaire dans Maîtresse (photo). Pendant près d'une année et demie, nous sommes allés ensemble chez Mado, une dominatrice qui officiait dans un demi-sous-sol d'un café à Châtelet. On faisait de grandes tablées avec Jean-Pierre Rassam et Barbet, et cette femme délicieuse, qui n'avait pas du tout le physique de l'emploi, nous parlait de son métier et de ceux qu'elle nommait ses "esclaves". Tout ce temps pris ensemble chez Mado, qui a été également la modèle d'un film de Claude Sautet, a créé une très grande complicité entre Gérard et moi. Pour le film, nous avons aussi fréquenté une autre dominatrice, glauque celle-ci, qui logeait au-dessus d'un commissariat de police et avait placé sa fille dans l'école très chic de la Légion d'honneur. Autre vision du métier.
«Gérard a accepté facilement de prendre et donner son temps pour toute cette préparation. Puis Bernardo Bertolucci lui a proposé 1900, Robert De Niro le souhaitait comme partenaire, et nous avons différé le tournage de Maîtresse de deux ans. Qui s'est déroulé dans une très grande gaîté. J'étais la dominatrice, gérante du lieu, Gérard était mon partenaire, très naturellement.
«C’est un plaisir fou de travailler avec lui car rien n’est joué. Il laisse toujours les choses aller de soi. Les esclaves de Mado étaient présents devant la caméra, et s’ils étaient si à l’aise, c’est grâce à la grande délicatesse de Gérard. Il n’avait jamais aucune réflexion déplacée. Ce qui était le plus surprenant est combien les esclaves se sentaient libres sur ce tournage. Pendant longtemps, j’ai continué de recevoir des lettres de dominatrices qui m’écrivaient en tant que collègues. Aujourd’hui, le film est culte. Mais à sa sortie, la douche fut froide. On portait des imperméables, pour éviter les crachats.»