Menu
Libération
Junk

«Toto», histoire pas drôle

Tourné à Bucarest, un docu stupéfiant d’Alexander Nanau sur le quotidien sordide d’une fratrie de Roms livrés à eux-mêmes.
Andreaa se filmant en compagnie de son jeune frère Toto. (Photo JHR Films)
publié le 5 janvier 2016 à 18h41

Mandaté par une société de production pour filmer la communauté rom, le jeune cinéaste allemand Alexander Nanau a croisé, dans un ghetto de Bucarest, Totonel, 10 ans, et sa sœur adolescente, Andreaa, qu’il a suivis et filmés sans relâche le temps d’une année. Le film s’ouvre sur l’horizon absolument désespérant d’une HLM décatie du quartier de Ferentari, où Toto et ses deux grandes sœurs, laissés aux bons soins de deux oncles négligents, se nourrissent de boîtes de conserve, livrés à eux-mêmes dans un taudis constamment traversé par des junkies en manque de shoot.

Mouise. La plus âgée, Ana, est héroïnomane et le trio cohabite dans une seule pièce, attendant le retour de la mère, emprisonnée pour trafic de drogue. Dans ce tableau sordide de défonce familiale où les adultes se piquent à côté des enfants sans leur jeter un regard, l'affection fraternelle, l'institution scolaire ainsi que des cours gratuits de hip-hop présentent de maigres consolations. La fratrie vivote grâce à la bienveillance de professeurs et d'animateurs du centre aéré, un tissu associatif qui fait tout à la fois office d'assistance sociale et de famille de substitution. Surnage de cet ahurissant portrait, tenu par l'allant de ses jeunes héros attachants, un constat jamais formulé mais accablant pour le sort des Roms, relégués en marge de la société roumaine.

Toto et ses sœurs évoque une parenté fugace avec les petits laissés pour compte de Nobody Knows, du Japonais Kore-Eda, mais rappelle surtout le dénuement des Trois Sœurs du Yunnan, du Chinois Wang Bing. S'il ne travaille pas le même temps long, ce troisième long métrage documentaire, grand prix mérité au dernier festival Premiers Plans d'Angers, conjure tout voyeurisme complaisant en épousant la survie miraculeuse de ces quasi-orphelins qui tentent péniblement de s'extirper de la mouise. La sobriété du dispositif est assurée par un cinéma direct, sans interview ni voix off.

Intimité. Parallèlement au tournage, le cinéaste a formé les écoliers du quartier à la prise de vue par le biais d'ateliers organisés en classe : dans un ultime passage de relais, il a confié à Andreaa la caméra et incorporé au montage des moments d'intimité stupéfiants. Dans la plus belle scène, l'adolescente se confesse face caméra et filme à la fin du récit une confrontation avec sa grande sœur, hagarde et défoncée, qu'elle finit par convaincre, à force d'exhortations, de sortir du cycle infernal de la came.