Les trois personnages des Délices de Tokyo gravitent autour d’une échoppe à dorayakis, appétissants beignets japonais fourrés à la crème de haricots rouges confits (appelée «an»). Dans le récit, ces mets bourratifs très prisés des écoliers à l’heure du goûter sont confectionnés de mauvaise grâce par le cuisinier quadra et alcoolique de la petite cahute, Sentaro. Une écolière livrée à elle-même vient y trouver refuge chaque jour après les cours et grappiller des miettes du festin. Le restaurateur grognon qui recherche un cuistot pour le seconder voit un jour postuler Tokue, délicieuse septuagénaire qui répond à son offre d’emploi. La retraitée est tellement «kawaii» qu’elle pourrait figurer dans un Pixar ou un Miyazaki.
Fine pâtissière, il s’avère qu’elle détient le secret ancestral de la fabrication de cette pâte de haricots savoureuse et va, dès son embauche, réenchanter le quotidien de ceux qui la fréquente. On y apprend que cette ancienne lépreuse aux doigts difformes a été jadis placée de force en quarantaine dans un sanatorium où elle a passé sa vie comme le reste de la population lépreuse, longtemps mise au ban de la société japonaise.
Cette trame parfois cousue de fil blanc est adaptée d’un best-seller de Durian Sukegawa, auteur dont la cinéaste Naomi Kawase avait déjà tiré Hanezu, l’esprit des montagnes (2011). De facture plus modeste que ses précédents longs métrages, le film, sans être en service minimum, est essentiellement resserré sur cette petite boutique tokyoïte et l’existence simple de ceux qui la traversent. L’ouvrage délicat de ce Kawase «light» dépeint en format miniature cerisiers en fleurs et vapeurs de fourneaux nimbés de notes de piano. Invoquée en contrepoint à la rudesse citadine, la nature qui pointe dans un croissant de lune ou un arbrisseau fraîchement planté n’égale jamais ici le vertige panthéiste de Shara (2003), son sommet. Si l’on se méfie, à raison, de la larmoyante tambouille mêlant cuisine et métaphysique, l’émulsion est arrangée de main de maître par Naomi Kawase. La cinéaste nippone, qui a récemment perdu la grand-tante qui l’avait élevée, poursuit ici son hommage inconsolable - déjà esquissé dans le précédent, Still the Water - à la discrète sagesse du grand âge, hanté par cette présence maternelle.