«Nous sommes doubles. Ce que nous croyons, nous ne le croyons pas. Et ne pouvons nous défaire de ce que nous condamnons.» Cette citation de Montaigne est prononcée par Stanley Milgram (interprété par Peter Sarsgaard en mode maxi-understatement), mais il aurait tout aussi bien pu convoquer, et peut-être plus à propos, ce bon vieux saint Augustin («l'esprit se donne des ordres à lui-même et il n'y obéit pas»).
Le psychologue social américain Milgram est passé à la postérité pour son amusante expérience sur des centaines de cobayes humains au début des années 60. Mis en situation d’enseignant faisant passer un test d’intelligence à un autre adulte, le testeur envoie des décharges électriques à son candidat sous l’œil d’un expérimentateur en blouse blanche qui l’incite à continuer même si, derrière le mur opaque, le candidat réclame que la séance s’arrête et exprime une douleur croissante au fur et à mesure que le voltage envoyé augmente. On sait que l’expérience est fictive, qu’il s’agit de tromper l’individu placé sous la contrainte d’un programme. Manière pour Milgram de révéler à quel point, en dépit du sentiment de culpabilité ou sursaut d’indignation, dans certaines conditions, l’homme conscient se défait de toute autonomie et accomplit les gestes qu’on lui demande de faire, quelle que soit l’intensité de ses débats intérieurs.
Profondément marqué par l’idée de la froideur d’exécution du meurtre de masse nazi, Milgram conceptualise la notion d’état agentique, où l’individu agit tel un rouage au nom d’une loi supérieure, d’un ordre donné par une autorité jugée légitime. Le film, sorte de biopic en chambre, brosse le parcours de Milgram sur plusieurs années, comment ses méthodes sont vivement critiquées parce qu’il donne l’impression de ne pas être sensible aux traumatismes qu’il peut créer en soumettant des gens à sa supercherie à but scientifique.
Le film est intéressant mais manque cruellement de nerf, d’autant que Milgram semble tout vivre selon un continuum inexpressif de mise à distance glacée ou dépressive. Wynona Ryder dans le rôle de l’épouse du savant comportementaliste amène un peu de vie dans cette fiction intello bien trop sage et apprêtée.