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Cinéma

Anders Danielsen Lie, flou artistique

Rencontre avec le comédien norvégien, médecin à mi-temps et musicien à ses heures perdues. A l’affiche du dernier film de Mikhaël Hers, il regrette d’être cantonné aux rôles d’homme tourmenté.
Anders Danielsen Lie dans «Ce sentiment de l’été». (Photo Nord Ouest Films)
publié le 12 février 2016 à 18h11

La sortie en 2011 du film Oslo, 31 Aoûtsur l'errance fracassée d'un jeune écrivain junkie a fait de Anders Danielsen Lie, comédien réservé et délicat de 37 ans, l'interprète de prédilection d'une masculinité tourmentée, mais contre son gré. A tel point que son visage, à la mélancolie langoureuse, tête d'oisillon perchée sur un corps longiligne, hante désormais plusieurs longs métrages français, de Fidelio, l'odyssée d'Alice de Lucie Borleteau à Personal Shopper d'Olivier Assayas qu'il vient de tourner avec Kristen Stewart. Dans Ce sentiment de l'été de Mikhaël Hers qui sort en salles mercredi, il est un conjoint endeuillé traversant dans un état d'hébétude trois villes et trois étés : Berlin, Paris et New York. Est-ce le fait d'un tropisme francophile de sa part ou le fruit de metteurs en scène fantasmant son ethos scandinave ? Plusieurs d'entre eux ont en tout cas détecté chez Anders Danielsen Lie une certaine disposition à la tragédie, qu'il réfute : «Il m'est arrivé d'être catalogué, c'est vrai, reconnaît-il volontiers. J'ai cette mélancolie en moi, mais je ne suis pas lugubre.» Il poursuit : «La légende veut que les Scandinaves soient déprimés et suicidaires, mais c'est un label, comme le polar scandi-noir. A mes yeux, ces thèmes tragiques sont au contraire très français !»

Fils d'une actrice et d'un psychiatre, Anders Danielsen Lie concilie aujourd'hui ces deux inclinations parentales et se refuse, en trentenaire accompli, à choisir entre ses différentes activités : médecin généraliste à mi-temps dans un cabinet, il a aussi produit un album (This Is Autism) et pratique le piano quotidiennement «de manière thérapeutique», sans vouloir faire carrière dans la musique. «Il y a probablement une interprétation freudienne derrière tout ça», s'amuse-t-il. Elevé dans le quartier bohème d'Ullevaal, au nord-est d'Oslo, peuplé d'intellectuels d'obédience communiste dans les années 70, il s'y est récemment réinstallé en bon bobo avec sa compagne mannequin et leur bébé, dans la maison de sa grand-mère. En 2012, le magazine du New York Times consacrait même sa une au «couple le plus cool d'Oslo», photographié au soleil en maillot de bain à l'occasion de son numéro spécial voyages.

Propulsé à 10 ans enfant star dans un hit local (Herman, 1990) et tétanisé par la notoriété, Anders Danielsen Lie s'orientera plus tard vers des études de médecine, plus rassurantes. En 2006, le jeune cinéaste Joachim Trier, qui gravite dans les mêmes cercles, repère son tempérament et le tire de sa retraite en lui proposant de jouer dans son premier film, Nouvelle Donne, radiographie nerveuse de la jeune scène littéraire norvégienne. Depuis, ce touche-à-tout s'épanouit dans le flou artistique : «Je n'ai jamais rêvé de jouer, détaille-t-il. Je me sens comme un touriste dans l'industrie du cinéma, dont certains aspects me repoussent un peu, à vrai dire.»

Autodidacte sérieux, il a néanmoins profité de son récent congé paternité pour se plonger dans la théorie et lire Stanislavski, Diderot et Shakespeare. S'il ne crache pas sur les projets plus commerciaux à Hollywood qui ne manqueront pas de se présenter, il s'est engagé en attendant dans deux mini-séries norvégiennes. Et confie, sans doute pour contrecarrer les rôles envahissants de beau revenant spleenétique : «J'aimerais bien faire de la comédie, je vous assure…»