Ethan et Joel Coen ont présenté la semaine dernière en ouverture de la Berlinale (lire aussi Libération de mardi), festival friand de fictions militantes, cet hommage caustique et érudit, quoique dénué de nostalgie vintage, à l'âge d'or hollywoodien. Homme de main du studio Capitole, le roublard Eddie Mannix (Josh Brolin) est dépêché pour élucider discrètement l'enlèvement par un redoutable groupuscule communiste de la vedette Baird Whitlock (George Clooney) en plein tournage d'un péplum biblique. Celui-ci s'occupe en sus de dissimuler aux yeux du grand public les liaisons entre stars, orientations sexuelles honteuses et autres avanies susceptibles de perturber un plateau de tournage. Ave César ! s'inspire des frasques du vrai Eddie Mannix, producteur historique pour la MGM et combinard patenté impliqué à l'époque dans de retentissantes affaires de mœurs.
Après l'odyssée musicale et féline d'un loser new-yorkais des sixties dans Inside Llewyn Davis (2013), les Coen renouent dans ce 17e film avec une veine mineure et plus ingrate de leur cinéma, celle des farces ricanantes et un peu vaines Ladykillers et Intolérable Cruauté. Ave César ! revisite néanmoins avec un peu plus de panache le film choral saturé de caméos : ici, Scarlett Johansson en pin-up white trash qui multiplie les conquêtes, là Alden Ehrenreich en comédien rustique de western, transfuge dans une romance feutrée. Derrière ces archétypes affleurent des grands noms du show business des années 50 (Gary Cooper, Gene Kelly…). La meilleure apparition revient à Channing Tatum, casté à contre-emploi en marin frétillant dans une comédie musicale acidulée, lui qui n'a plus rien à prouver depuis ses flamboyants déhanchés dans Magic Mike. La partie la plus réussie, qui s'intéresse à Hollywood comme machine de propagande, réunit, tel un cauchemar maccarthyste, un complot communiste ayant noyauté toute l'industrie et menaçant d'évangéliser à leur insu les spectateurs.
En 1991, le Barton Fink des Coen était déjà une divagation effarée sur les affres du métier de scénariste à Hollywood. Ce nouveau regard critique s'inscrit, plutôt qu'en tableau à charge contre la frivolité et les paillettes, comme une malicieuse satire «méta» qui n'ôte rien à l'enchantement de l'entertainment, présenté ici dans tout son artisanat familial rédempteur.