Le 1er février, jour de passation à la tête de la Cinémathèque française entre Serge Toubiana et son successeur Frédéric Bonnaud, les deux se voyaient adresser une lettre ouverte, postée par une jeune femme sur YouTube, qui allait recueillir plus 66 000 vues. Anna Bosc-Molinaro, ex-employée de l'agence City One qui opère l'accueil dans l'institution de la rue de Bercy, y exposait une condition de «petites gens» soumises à la précarité, aux pressions et à un management brutal.
Maladroit. Malgré l'émoi suscité, la seule réaction officielle fut un communiqué laconique du nouveau directeur, annonçant un rendez-vous avec City One le 10 février. Depuis, rien, sinon une intervention pour le moins maladroite de Frédéric Bonnaud sur France Musique : «Je pense qu'hôtesse d'accueil, caissier, guichetier ou ouvreuse, ça doit rester des petits jobs d'étudiants. Moi je ne me vois pas signer un CDI à vie pour que quelqu'un vende des billets à la Cinémathèque.» Sollicité par Libé, il n'a pas souhaité répondre à nos questions. A l'intérieur de l'établissement, on s'étonne de cette communication a minima. «On pensait que l'arrivée d'un nouveau directeur permettrait un renouveau, mais rien n'est dit, ni fait», déplore un agent.
Le rendez-vous s'est bien tenu le 10 février entre les deux directions. «Nous avons rappelé à City One que nous étions dans un Etat de droit et notre vigilance quant aux conditions de travail, explique Jean-Christophe Mikhaïloff, directeur de la communication à la Cinémathèque. Ils nous ont assuré n'avoir aucune procédure en cours pour harcèlement, maltraitance ou abus.» «Nous menons un vrai dialogue social», se défend Nicolas Liki, président de City One.
La société, qui a aussi pour clients l'Opéra de Paris, la SNCF ou le Monde, collabore depuis dix ans avec l'institution cinéphile, le dernier contrat ayant été signé pour quatre ans en janvier 2014. Seize personnes de City One y travaillent régulièrement, majoritairement en CDI. Mais du renfort peut être demandé à l'occasion d'événements à succès. «Nous leur avons rappelé le cahier des charges du marché public passé avec eux qui peut être dénoncé chaque année, souligne-t-on à la Cinémathèque. Et nous leur avons rappelé que toute irrégularité dans la gestion du personnel pourrait porter préjudice à notre image.» Les deux directions avancent qu'Anna Bosc-Molinaro leur apparaît un cas isolé.
Depuis sa lettre ouverte, la jeune femme n'a eu aucun retour, pas même un démenti de City One. «On veut étouffer l'affaire et me faire passer pour une midinette.» Pourtant, sur le blog qu'elle a ouvert dans la foulée, 26 personnes ont appuyé son témoignage du leur. D'autres ne lui parlent plus. «Une liste des gens en interne qui avaient "liké" ou partagé la vidéo a été établie.»
Silence complet. Nicolas (1), ancien employé à la Cinémathèque, confirme ses dires : «On interdisait aux salariés de City One d'avoir leur portable sur eux. Et en même temps, on les harcelait sur leur téléphone pour les déplacer sur un autre site.» Christian, qui y travaille encore, note, agacé : «On est mercredi et nous n'avons pas encore nos horaires pour la semaine prochaine !» En interne, un silence complet a suivi la vidéo, et rien n'a filtré de la réunion du 10 février. «Il n'y a aucune considération pour le personnel de City One, poursuit Christian. Nous ne sommes que des prestataires.»
Nicolas se rappelle lui que parmi les CDI de City One au moins une personne s’était retrouvée à occuper des mois durant des responsabilités identiques à celles d’employés de la Cinémathèque, sans bénéficier pour autant des mêmes conditions contractuelles. Après avoir réclamé une revalorisation à l’aune de ses fonctions, elle avait été réaffectée à un autre établissement. L’ambiance aurait toutefois un peu changé depuis le «coming out» d’Anna. On dit parfois bonjour «aux City One», on leur serre même la main.
(1) Des prénoms ont été modifiés.