Sur les rives de Ventanas, ville industrielle cafardeuse de la côte du Chili, Sofia et son conjoint forment un couple sans enfant attendant désespérément de se voir accorder l'adoption d'un mineur. Alertée un jour par la disparition d'un nourrisson retrouvé mort dans une décharge, dévoré par des oiseaux, l'enseignante demande à un juge le droit d'enterrer la dépouille que personne ne réclame. Celle-ci entend obtenir réparation pour la violence causée au nouveau-né en lui octroyant au moins une sépulture. Or l'opération nécessite, aux yeux de la justice chilienne, une adoption au préalable du petit cadavre, baptisé post-mortem Aurora. Répétant comme un mantra être «sur le point de devenir folle» et négligeant emploi et amis, Sofia s'absorbe entièrement dans cette quête mortifère dont elle fait une affaire personnelle.
Ce troisième long métrage du cinéaste Rodrigo Sepúlveda sur une épouse qui fait par procuration le deuil symbolique de sa maternité s’inspire d’un fait divers paru dans un quotidien chilien. Une femme de la région avait ainsi à plusieurs reprises plaidé la cause d’enfants dont les corps auraient été jetés dans des dépotoirs. Cette plongée dans une psyché tiraillée entre hautes aspirations morales et quête illusoire apparaît d’autant plus dérangeante que l’on ignore si cet engouement forcené relève ou non d’une forme de démence.
Dans ce décor maussade, Rodrigo Sepúlveda filme sans relâche l'entêtement de Sofia, incarnée ici par Amparo Noguera, figure majeure du théâtre chilien vue chez Raoul Ruiz et Pablo Larrain. Ce portrait de féminité en crise en appelle d'autres du cinéma latino-américain, où les plaies de l'histoire prennent souvent des dimensions pathologiques comme dans la Femme sans tête, de Lucrecia Martel, en Argentine. «Ce qui est humain n'est pas le fait de naître, mais d'être enterré», martèle Sofia, sentence qui résonne d'autant plus puissamment au Chili que les vestiges encore chauds de la dictature continuent de hanter tous les pans de la création nationale.