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Libération
Critique

«Shadow Days», l’horreur naissante

Tentant de fuir son passé trouble, un jeune couple s’établit dans un village montagneux du Yunnan secondé par un oncle milicien.
publié le 29 mars 2016 à 17h11

En 2008, le cinéaste chinois Zhao Dayong avait planté sa caméra plusieurs mois durant dans les rues et abords de Zhiziluo, aux confins montagneux du Yunnan et de la Birmanie, captant les ultimes tremblements d'une bourgade en voie de désertification sous les effets conjugués de l'insécurité sismique et de l'enclavement rural. Sans connaître la fortune des chefs-d'œuvre de Wang Bing (les Trois Sœurs du Yunnan, A la folie), son documentaire Ghost Town (2009) s'était alors fait remarquer au gré de sa ronde festivalière, notamment à New York, séduisant par la délicatesse de sa chronique d'une quotidienneté hors du temps et des cartes usuelles, là où des communautés et leurs traditions se désintègrent pour alimenter de leurs alluvions atomisées le train furieux de villes-monstres.

Le même village tient aussi lieu de théâtre à l'intrigue minimale de Shadow Days, deuxième film de fiction de Zhao Dayong, réalisé six ans plus tard dans ces mêmes parages bornés de spectres déliquescents du passé et d'une pénurie de futur, entre catéchisme post-maoïste, reliquats de traditions païennes et inclination à la foi chrétienne curieusement amalgamés. On y reconnaît les mêmes rues grises, les bâtisses en déshérence, les contreforts verdoyants qui les ceignent.

Parti vingt ans plus tôt, un jeune homme accompagné de sa femme enceinte revient y trouver refuge en attendant que naisse leur enfant, en fuite d’on ne sait quels ennuis qui lui valent une traque policière. Il se range alors sous la protection d’un oncle maire et à la tête d’une sorte de milice qui s’ingénie à mener une guerre sale à la population, faisant sévir à coups de stérilisations forcées la politique de l’enfant unique.

Premier film de son auteur à atteindre les écrans français, Shadow Days affiche d'élégantes manières de peintre réaliste, qui se teintent joliment de hantises tandis qu'il puise le carburant de son récit dans les codes du film d'angoisse, d'apparitions furtives en basculement terminal dans l'horreur. Agrégat un peu lâche de timides esquisses de pistes narratives et de pures visions souvent inspirées, le film témoigne toutefois surtout de l'embarras du cinéaste à articuler ces éléments en une fiction qui accède ainsi à la plénitude de son travail documentaire.