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Ciné / Dérive sur canapé

Cas rare en France, «The End», qui met en scène l’errance existentielle en forêt de Gérard Depardieu, sort directement en VOD, sans passer par la case salle de cinéma. Un choix sur lequel le projet s’était conçu.

Dans ce drame fantastique, Depardieu interprète un chasseur égaré. (Photo Darksta)
Publié le 08/04/2016 à 18h41

Imaginez que vous ayez projeté, ce week-end, de voir sur un très grand écran Gérard Depardieu dans son dernier film, The End, de Guillaume Nicloux, avec qui l'acteur a déjà tourné Valley of Love - en compétition à Cannes l'année dernière. C'est possible, à condition que le grand écran soit installé chez vous ou chez un ami. Inutile de chercher dans quelle salle peut bien être exploité ce film. Pour la première fois en France, un cinéaste, une productrice, un acteur, tous trois vastement reconnus, ont décidé, non par défaut mais par choix, de se passer de la case cinéma et d'être visible directement sur une plateforme VOD.

L’aspect inédit tient moins à ce que le film ne soit pas distribué - cela arrive tous les jours - qu’au fait que cette décision soit prise à l’orée du projet, en toute connaissance de cause, et alors que l’objet refuse l’appellation de téléfilm. D’ailleurs, à l’international, comme c’est Gaumont qui assure la distribution, elle aura lieu en salle.

The End, objet mal identifié ? Le film, qu'on peut voir comme un documentaire sur le corps de Gérard Depardieu (tout comme Valley of Love), montre l'errance d'un homme seul, à la recherche de son chien, puis de son fusil, puis, finalement, de lui-même, dans une forêt épaisse comme celle des contes. Ce qu'il perd, ce qu'il trouve, ceux qu'il rencontre, mais surtout le rien qu'il faut à Gérard Depardieu pour terrifier au fur et à mesure que son personnage s'enfonce dans la nuit et se dépouille de tout : telle est la matière de ce film étrange, Petit Poucet à l'envers puisque c'est l'ogre qui s'égare et que tous sont des enfants effrayés à ses côtés.

Urgence. L'image, signée Christophe Offenstein, est sombre : on ne peut pas dire que le chef opérateur l'a conçue en fonction des écrans mal calibrés sur lesquels le film est susceptible d'être regardé. Sylvie Pialat, productrice du film : «Pour moi, la salle reste le sanctuaire du cinéma et je suis confiante pour son avenir. Il y aura toujours un public qui préfère voir le film en salle plutôt qu'en lien. Il n'empêche : aujourd'hui, il arrive à des gens très bien de regarder des films sur leur portable !»

Pour The End, l'urgence a primé sur toute autre considération. Guillaume Nicloux a commencé à y songer sur le tournage de Valley of love. «L'aventure n'était pas finie, et les deux films ont d'ailleurs la même équipe. Le scénario n'était pas encore écrit.» Impossible d'attendre qu'il existe pour commencer le montage financier. «Il a fallu être inventif. On savait qu'on tournait dans trois mois. TF1 Vidéo s'est emballé. Or, je dis toujours oui à celui qui s'enthousiasme. Tout en étant pragmatique : le film appartient à celui qui paye !» ajoute Sylvie Pialat : «On serait très content qu'un distributeur ait envie de montrer le film en salle. Mais en France, The End va d'abord être mis en avant pendant une semaine, puis pendant un mois sur "premium" et sur toutes les plateformes au même endroit que Star Wars. L'éditeur offre la meilleure exposition possible pour ce film.»

Sortir le film en VOD, c’est aussi prendre le risque que le spectateur zappe, le regarde en téléphonant, arrête de le visionner puis le reprenne, bref, soit maître du temps, plutôt que soumis à celui de l’œuvre.

Avantageux. C'est aussi penser le succès d'un film un peu différemment. En VOD, on considère qu'un film est vu lorsque le spectateur en a regardé une partie. Et on suppose qu'il n'est jamais seul, mais avec deux invités. De plus, on le géolocalise. Ainsi pourrait-on dessiner de nouvelles cartes de France, où apparaîtraient les villes où Merci patron ! fait un carton. Outre celui de pouvoir tourner plus souvent, l'avantage, pour le cinéaste, c'est que cette «sortie» sans exposition sur les colonnes Morris et autres, est moins stressante. «Alors même que le budget alloué au marketing est important. TF1 diffuse de la pub pour le film, ce que la chaîne n'a pas le droit de faire pour une sortie en salle.» Guillaume Nicloux n'a-t-il aucun regret ? «Non, c'est impossible d'en avoir. Le film n'existe en France que grâce à l'éditeur.» Celui qui tient lieu à la fois de distributeur et d'exploitant.