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Libération
Critique

«Paulina», peine perdue

En Argentine, une jeune enseignante idéaliste est victime d’un viol, mais renonce à poursuivre ses agresseurs. Une histoire pétrie de paradoxes.

Publié le 12/04/2016 à 18h01

Paulina, deuxième long métrage de Santiago Mitre après El Estudiante (2013), cherche sans doute à nous faire penser. Mais à quoi ? Ou, plutôt, à qui ? Ce remake d'un film célèbre et controversé, dont il garde dans son pays le titre original, La Patota (1960), repose entièrement sur une sorte de paradoxe vécu avec entêtement par son héroïne. Paulina quitte une carrière juridique et un père magistrat pour rejoindre un programme d'éducation populaire dans le nord de l'Argentine, où elle initie des adolescents à la théorie politique. Victime d'un viol, elle identifie rapidement ses agresseurs et décide de ne pas les poursuivre en justice. Ce dont le film cherche à débattre, ou ce avec quoi il se débat, est explicitement le concept de justice, et ses implications politiques.

Paulina devient une figure inversée de justicière combattant pour ne pas demander justice, au nom de sa lutte contre le système raciste et classiste qui préside à la désignation de la faute. «A qui je pense en agissant ?» devient la question à se poser. Mais si Paulina pense aux autres, chaque plan de Paulina ne pense qu'à Paulina. Le rejet de la justice des hommes ne donne lieu à aucune autre forme de justice (et y en a-t-il d'autres ?), ni à aucune forme de rencontre avec «les autres», ce qui aurait pu faire naître une forme de justesse cinématographique. S'attaquer à un paradoxe supposerait de revoir les coordonnées du système où il pose problème. Dans Paulina, les coupables restent coupables, et l'innocente, les innocentant, n'en est que plus innocente. C'est ce qu'on appelle la bonne conscience, avec ses contradictions.

Le film la décortique férocement, mais sans jamais laisser voir s’il le fait exprès. On pleure avec Paulina, et on ne sait pas quoi en penser. Est-ce que pleurer au cinéma nous rend meilleurs ? Paulina, c’est moi qui pleure sur mon propre sort, au nom de la souffrance des autres. N’étant pas à un paradoxe près, on sait, une fois la salle quittée, ce qu’on en pense, avec la mauvaise conscience de celui qui ne s’est pas assez apitoyé.