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Libération
Critique

Trou y es-tu ?

Chasse. Conte sylvestre d’Alessandro Comodin autour d’une étrange fosse et d’une forêt hantée par les loups.

Publié le 16/05/2016 à 20h51

On avait découvert Alessandro Comodin à Cannes, en 2009, dès son saisissant court métrage de fin d'études, Jagdfieber. La captation d'une partie de chasse recueillie depuis sa périphérie, où tout de l'action chasseresse était tenu hors champ, à l'exception de fervents portraits de chasseurs, mués par l'intensité du regard porté sur eux en de surnaturelles gargouilles, quasi mythologiques. Depuis, le jeune cinéaste frioulan a confirmé avec le très beau l'Eté de Giacomo (primé à Locarno) et le voilà de retour à Cannes avec un film aussi impénétrable qu'enivrant, qui achève de le ranger parmi les plus prometteurs jeunes cinéastes européens. «Il y a des natures belles et des natures de merde», statuait le jeune héros de son premier long métrage, les pieds envasés. C'est cette fois une magnifique forêt piémontaise qui enserre les histoires en miettes relatées par Happy Times Will Come Soon, où l'on accompagne d'abord la course de deux jeunes hommes à la beauté suave, deux ombres peintes à l'encre bleue fuyant on ne sait quoi à travers une nuit opaque où, peu à peu ils feront leur nid. On les voit lutter, s'empoigner, rouler dans les herbes hautes, chasser le lapin et le dépecer, voler un fusil. On ne saurait dire s'ils jouent. Quand l'époque, jusque-là insituable, s'incruste dans le mouvement agile d'un plan, il sera déjà tard. Puis, passé un interlude empli de récits et croyances populaires contés face caméra - des histoires légendaires de biche blanche, d'un amant loup «aux yeux de feu» hurlant son désespoir à la lune et d'une jeune femme malade «retournée à l'état sauvage sans idée de ce qu'elle cherchait» -, une seconde partie s'élance. Elle a pour beau bestion aux yeux clairs le visage de l'actrice française Sabrina Seyvecou. Soit l'ensauvagée mentionnée plus tôt, qui erre, affalée, à dos d'âne, autour du mystère d'un trou, tandis que résonnent des éclats de vieilles chansons italiennes baignées dans le bruissement d'un ruisseau. Et que, dans ces parages déjà arpentés lors de la première partie, forcément, rôde un loup, flânant telle la caméra en liberté de Comodin, comme avide de forer dans le territoire conquis par ses rotations un espace où engouffrer soudain un nouveau genre, une nouvelle rafale de fiction.

Amalgame d'inspirations disparates, de vieilles légendes en tableaux de maîtres hollandais, le film évoque immanquablement les histoires bipolaires de dévoration amoureuse du sublime Tropical Maladay d'Apichatpong Weerasethakul, ou encore l'incertaine dérive rurale dans le sillage de folklores populaires de Ce Cher Mois d'août de Miguel Gomes. Comodin s'est d'ailleurs allié à un autre cinéaste portugais pour monter ses deux films, João Nicolau, à qui il a rendu la pareille, et dont le très beau teen-movie John From sort en salles dans huit jours.