«C'est le festival de Caen» : sur la terrasse d'un palace où plusieurs équipes survoltées s'arrachent les cheveux en plein tunnel promotionnel, Adriana Ugarte, radieuse et enjouée, tient à pratiquer son français. La jeune fille de bonne famille, qui a grandi à Madrid entourée d'avocats, est francophone depuis que ses parents possèdent une dépendance dans le Périgord. A 31 ans, elle partage avec Emma Suarez le rôle-titre de Julieta de Pedro Almodóvar, présenté en compétition, dont elle est la jeune incarnation frémissante. Cette figure tragique de matriarche fracassée s'insère dans une généalogie d'héroïnes vénéneuses composées par le cinéaste ibère depuis trois décennies. «C'est une femme forte, très sensible, qui ressent la douleur et la solitude de façon très violente, s'enthousiasme-t-elle, à propos du rôle. Le film est un peu différent des précédents, sa musique plus subtile, ses sentiments plus contenus.» Le récit semble avoir été composé contre la frénésie baroque qui a pu figer une génération de comédiennes espagnoles dans des partitions flamboyantes : ainsi, Almodóvar n'a pas autorisé Adriana Ugarte, très émotive, à pleurer sur le plateau, privilégiant un jeu ascétique. Les mauvaises langues qui auront trouvé ce vingtième film dépassionné se rattraperont sur ses interprètes incandescentes, que le cinéaste magnifie toujours avec entrain, d'autant qu'il s'agit là de son fonds de commerce.
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Une voie royale pour la fan fervente qui, adolescente, craquait déjà pour Femmes au bord de la crise de nerfs. A propos du cinéaste - pataugeant ces jours-ci en pleins «Panama Papers» - l'actrice est catégorique : «Avec Pedro, c'est différent, il aime vraiment les femmes», sourit-elle. Dans ce mélo en sourdine à la palette chatoyante, son personnage apparaît successivement choucroutée d'une touffe peroxydée et harnachée d'une panoplie de tailleurs cintrés à épaulettes. Née en plein âge d'or de la Movida, elle a eu droit à une séance de rattrapage avec le metteur en scène, dépositaire d'inestimables clichés d'époque. «Dans les années 80, les filles paraissaient plus libres, plus ouvertes, avec l'envie de vivre.»
Lointaine parente des dramaturges Eduardo Ugarte et Carlos Arniches, Adriana Ugarte a débuté par des séries (El tiempo entre costuras) avant d'infiltrer cinéma et théâtre, avec pour modèle Cate Blanchett («solide, intègre et élégante»). On remarque qu'elle arbore deux tatouages, une minuscule étoile sur la main droite et un petit cœur tatoué au creux du bras gauche, «sur la veine où l'on fait les piqûres». Citadine installée à la campagne depuis un an avec trois chiens, elle s'y déplace à vélo et aspire à la fréquentation bucolique des «animaux et des arbres. J'adore la nature, là-bas je me sens enfin tranquille».