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Libération
Viol

Cristian Mungiu : no future

Festival de Cannes 2016dossier
Le désenchantement d’une génération en Roumanie à travers les déboires d’un père.
L'adolescente a été agressée sexuellement par un inconnu. (Photo Mobra Films)
publié le 19 mai 2016 à 21h11

Roméo, chirurgien dans une ville de Transylvanie, surveille de près sa fille unique, Eliza, brillante lycéenne qui a décroché une bourse pour partir étudier dans une université anglaise. On est à deux jours du début des examens du bac et, alors qu’il vient de la déposer à quelques mètres de l’établissement, l’adolescente est agressée sexuellement par un inconnu. Blessée au bras, traumatisée, elle doit cependant se présenter aux épreuves et décrocher une note excellente afin de pouvoir prétendre au graal des études supérieures dans une institution de prestige.

Le Roumain Cristian Mungiu, qui avait décroché la palme d'or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours et un prix du scénario, en 2012, pour Au-delà des collines, suit les efforts de Roméo afin d'empêcher qu'un hasard destructeur ne ruine un intense programme d'efforts et de ténacité pour réussir, et s'échapper d'un pays qui, selon lui, ne bouge pas et n'offre aucune perspective. De proche en proche, par son amitié avec un inspecteur de police qui connaît un directeur de centre d'examen qui lui-même est redevable d'un service à un notable en mauvaise santé soigné par Roméo, une chaîne d'entraide se forme selon une logique d'accommodements réciproques avec les règles et la loi. On peut toujours s'arranger et même les copies du bac, pour peu qu'elles soient tracées d'un signe de reconnaissance et qu'elles atterrissent en de bonnes mains déjà prévenues de la note à donner, ne doivent pas devenir un obstacle à la bonne marche des choses.

Passe-droit. Le cinéaste regarde son personnage principal s'enfoncer dans une corruption molle ou de basse intensité qui monnaye en passe-droit, tricheries, pot-de-vin de l'amitié… Eliza est précipitée malgré elle dans ce système qui est censé lui donner confiance en son avenir mais sape, en réalité, tous les référents moraux ou qualitatifs que les adultes devraient avoir à cœur de garantir. La ruse du film est de nous faire entrer dans un rapport empathique au médecin pour ensuite, par petites touches, en dévoiler les travers, l'égoïsme et la tentation de vouloir tout contrôler. On le constate notamment dans les moments de rivalités viriles avec le petit ami de sa fille ou à travers l'amère description d'une vie de couple avec une épouse dépressive qu'il trompe depuis longtemps avec une fille plus jeune.

Impasses. Dans une scène, Roméo explique à sa fille qu'il pense avoir eu tort de rentrer en Roumanie après ses études, qu'il était de la génération d'après la chute des Ceausescu et que lui et sa femme voulaient changer le pays, le sortir des impasses de la dictature, «mais nous n'avons rien changé du tout». Si on rapproche Baccalauréat du Sierranevada de son compatriote Cristi Puiu, les deux films se livrent, à travers le prisme de situations privées, à une radiographie humaine, sociale et politique d'autant plus flippante que ce qui déraille ou ne fonctionne pas procède des suites d'un nouveau départ. Or, Puiu et Mungiu paraissent s'accorder sur l'ingrate déconvenue d'un monde en vase clos dominé par les raisonnements fautifs et les solutions inadaptées.