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Portrait

Alma Jodorowsky : La vie devant elle

Actrice, chanteuse et modèle, la petite-fille d’Alejandro fait feu de tous ses talents et promène sa décontraction dans l’Est parisien.

Alma Jodorowsky, en juin. (Photo Audoin Desforges pour «Libération»)
Publié le 11/07/2016 à 17h51

On joue souvent à un jeu idiot. On demande aux personnalités rencontrées de dresser la liste de leurs qualités et défauts. C'est assez sommaire comme procédé mais souvent de bon rapport avec les artistes, êtres autocentrés qui doivent être au fait des reflets biaisés qu'ils projettent et du biseautage des miroirs qu'on promène au long de leurs parcours imagés, comme on le faisait pour Louis et compagnie à la cour de Versailles. Sans se faire prier, Alma Jodorowsky se définit assez vite comme «posée et optimiste». Elle ajoute : «Je peux sembler distante, mais j'ai envie de partager. Je peux avoir l'air réservée, mais par moments mon côté solaire ressort. Longtemps timide, je me délecte de la capacité d'ouverture qui m'est venue.» L'actrice de 24 ans est aussi chanteuse et modèle. Elle s'inquiéterait presque qu'on la suspecte de papillonner, de se disperser, de manquer de concentration. En fait, elle est tout à fait raccord avec une époque qui cherche des femmes-orchestres aux talents de couteaux suisses. Surtout, elle se plaît à explorer tous les possibles pour ne pas se ronger les sangs devant une messagerie muette. Interprète aujourd'hui, elle passerait bien à la mise en scène, histoire de remettre la main sur son destin. Tout cela est dit sans forfanterie, avec un humour à bémol qui surligne sa capacité à distinguer l'éphémère de ce fatras de félicités qui lui tombent dessus.

La Cubaine. Une anecdote récente illustre les grands écarts qui pourraient l'éloigner d'elle-même, le déboussolement qui la guette et la chambre de compensation où elle déradicalise ses facilités. Cela se passe à Cuba. Baby égérie, elle y accompagne la croisière amusée de Chanel qui vient défiler au nez flétri et à la barbe grise de Castro. Histoire d'expier l'arrogance d'un luxe qui la fait vivre, elle entend découvrir l'état de cet autre monde d'avant. Elle prolonge l'affaire sac au dos. Quinze jours durant, elle ausculte les hauts lieux d'une révolution perdue. Elle débarque avec son romantisme archéo en bandoulière, inquiète que les barbudos se laissent pervertir par le capitalisme gringo. Et elle en revient consciente que la dictature encage et que l'autarcie fatigue les meilleures volontés. En France, terre d'un tout autre type de socialisme, la citoyenne Jodo a voté Hollande aux deux tours en 2012. Et se désole du scrutin qui vient. Elle euphémise : «Ça ne donne pas très envie.»

L'imprimeuse. On ne l'avait pas vraiment remarquée dans la Vie d'Adèle où les deux rôles principaux atomisent la concurrence. Mais, elle kidnappe l'attention dans une excellente série nommée… la Vie devant elles. Sous la présidence Giscard, trois ados voient leurs pères disparaître au fond de la mine. Dans la saison 2, pas encore diffusée, elle prend la direction de l'imprimerie où elle a débuté, et s'amourache d'un sidérurgiste syndicaliste. Les vestes afghanes en mouton retourné, comme les pantalons à pattes d'éph de ces années 70, vont très bien au teint de sa coolitude pneumatique.

La grande sœur. Elle est en devanture pour Juillet août, un film familial de Diastème. Ce feel good movie où les happy ends commencent dès le générique est un contrepoison aux morosités attentatoires au moral de la nation. Les parents sont compréhensifs sans être laxistes, l'ado décrocheuse se rétablit en pensionnat, les voleurs ne vont pas en prison et personne ne cafte aux flics. Alma Jodorowsky y joue la Juliette d'un Roméo cambrioleur, tout en restant l'aînée protectrice de sa jeune sœur en crise. Elle reconnaît volontiers que la bienveillance attendrie manifestée à la cadette ne lui est pas étrangère. Elle dit : «Je ne suis ni copine ni hyperprotectrice, mais je suis attentionnée. Le fait d'appartenir à une famille recomposée renforce ce genre de liens.»

L'ensoleillée. Jodorowsky fille est une enfant de la balle aux multiples rebonds. Alma s'est fait materner dans les coulisses du Théâtre du Soleil et a même fait ses classes… maternelles à la Cartoucherie de Vincennes. Ses père et mère se produisaient dans du Shakespeare sous la férule de l'impérieuse Ariane Mnouchkine. Côté hommes, on est juif polonais, chilien, puis mexicain. On est surtout issue de la lignée d'Alejandro, cinéaste et auteur de BD, ésotérique et surréaliste. Brontis, le père d'Alma, revendique cette transmission foraine. Il dit : «En Occident, on devient vite "fils de" avant même d'être identifié. Pourtant, poursuivre le parcours de ses parents est assez naturel. On vit et on évolue dans un certain milieu. Cette atmosphère vous ouvre un horizon. On peut s'en défaire en se révoltant. Pour ma part, je n'ai pas cherché à m'en émanciper» (1).» Sa fille pourrait répéter après lui. Côté femmes, on vient des Cévennes et on vend du cuir. Valérie Crouzet a fait son chemin au cinéma. Mais le théâtre reste l'horizon familial préféré. Alma a vu les dernières mises en scène de Thomas Ostermeier ou de Ivo van Hove. Et si elle plébiscite Peau d'âne, pont aux ânes de toutes les sensibles du demi-siècle, elle aime aussi les Enfants du paradis et son humanisme poétique, équilibrant ses admirations entre Deneuve et Arletty.

Label bobo. Elle a fait son collège à Decroly, école sans notes qui active la confiance en soi. Elle était en section théâtre au lycée à Montreuil, «un lieu mixte où le mélange se passait bien». Sa mère réside toujours dans la ville du 93 et son père dans le XXe arrondissement. Avec son copain, artisan ébéniste, qui fournit des architectes d'intérieur, elle vit dans le Xe. Elle est «Charlie» et elle est «Terrasses». Elle dit : «Ça m'a foutu une baffe. Moi qui suis plutôt positive, je n'arrive plus à voir d'issue.»

L'hirondelle. Elle est vêtue d'un haut marin emprunté à son compagnon. Et s'en amuse : «C'est d'un classique…» Elle a un jean APC et des sandales tropéziennes. Quant au sac Chanel, il l'attend tranquillement sur une banquette. Elle porte deux tatouages. Le sentimental est désavoué, preuve qu'amour ne rime pas avec toujours. A défaut de printemps, une hirondelle lui fait la cheville ailée. Et c'est vrai qu'on la sent assez gambadeuse et très rieuse en coin sous la tonnelle de ses sourcils peignés écarquillés comme on le fait maintenant aux jeunes modélisées.

La chanteuse. Elle apparaît moins latina que prévu, plus Charlotte Casiraghi que Penélope Cruz. Elle affiche une placidité heureuse, une sorte de décontraction attentive. Elle chante en anglais et ça fait parfois penser à Air ou à Portishead. Elle réalise ses clips elle-même et écrit ses textes où le sentimental côtoie le burlesque. Si elle a choisi Burning Peacocks comme nom pour son duo electro pop, elle n'aura jamais rien d'un paon enflammé. Difficile de l'imaginer en brune brûlante, en train de se pavaner et de faire la roue. Et c'est bien comme ça !

(1) L'Humanité, 5 août 2014.

26 septembre 1991 Naissance à Paris.

2012 Création du groupe Burning Peacocks.

2013 Rencontre avec Lagerfeld.

2014 Visage Lancôme.

2015 Série la Vie devant elles.

13 juillet 2016 Juillet août (Diastème).