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Libération
Snowden

«Jason Bourne», en toute franchise

Retour poussif de l’ex-espion amnésique, désormais à l’ère de l’hypersurveillance.

Matt Damon, Bourne again. (Photo Universal Pictures International France)
Publié le 09/08/2016 à 17h31

Matt Damon s’était voulu très clair sur la question : non, non, non, on ne le verrait pour rien au monde rendosser les atours tourmentés de Jason Bourne, dès lors que Paul Greengrass, le seul réalisateur digne à ses yeux d’orchestrer un tel retour, avait lui-même affirmé avoir tourné la page pour de bon et préférer sauver le monde autrement.

Pourquoi, en effet, étirer outre mesure une fresque en trois volets (la Mémoire dans la peau, la Mort dans la peau et la Vengeance dans la peau, de 2002 à 2009) qui, parvenue à achever la ringardisation de la franchise James Bond, se tenait et se bouclait idéalement en l'état, avec le recouvrement des souvenirs enfouis de Bourne (son enrôlement volontaire dans un programme occulte d'assassinats opérés au nom de la sécurité nationale) ?

Parce qu’un public en adoration les réclamait, avancera finalement Matt Damon ; parce que c’eût été trop dommage de ne pas donner suite à une franchise ayant rapporté plus d’un milliard de dollars, arguait Universal, un rien plus terre à terre. Quitte à commettre le film de trop - mais celui-ci, bien qu’accueilli tièdement, s’en sort déjà très bien dans les tiroirs-caisses américains. Neuf ans plus tard, revoilà donc Damon et Greengrass, la main sur le cœur et les poches sans doute pleines, réactivant l’espion à la mémoire trouée que l’on avait laissé à l’état de parfait précipité des années Bush.

L’ambition de ce quatrième volet se porte moins sur le renouvellement de la recette Bourne, dont les principales figures se trouvent ici réchauffées sans ménagement, mais plutôt sur l’actualisation de son imaginaire géopolitique, à force d’injections de signes extérieurs de prise sur l’air du temps - l’agent-tueur repenti crapahute ici entre manifs anti-austérité en Grèce et sommets tech à Las Vegas où se négocie en coulisse le bien-fondé de laisser ou non la CIA fureter dans les données privées de milliards d’internautes innocents. Tout comme les allusions plaquées à Snowden ou le savoir-faire de Greengrass dans le tricotage de scènes d’action triangulées, l’embardée transcontinentale de Bourne, si elle conserve un certain souffle, affiche une pesanteur certaine, liée à la charge de mémoire retrouvée dont le héros se trouve désormais lesté (la scansion de cette scène, porteuse d’un certain trouble, du meurtre de son père auquel assiste un Matt Damon numériquement rendu à la verdeur de ses 20 ans). Jamais le passé n’a paru si douloureux, si lourd. Et il pèse de tout son poids sur cette prolongation fatiguée de la série qui, à trop peu se soucier d’incarner ses enjeux comme contaminés par la virtualisation des échanges, nous abandonne à notre nostalgie des temps innocents de l’amnésie.