A tous égards, 2016 est une année de merde. D’autant plus quand l’un des seuls objets possiblement aptes à nous tirer de la torpeur estivale s’avère n’être pas totalement réussi. Avant d’en venir aux faits, rappelons qu’une communauté de fans transis avait sorti les crocs, écume aux babines, à l’annonce de ce reboot au féminin de S.O.S. Fantômes confié au cinéaste américain Paul Feig. Fâchés tout rouge, ils s’en étaient ensuite pris à la bande-annonce, devenue la plus honnie de la courte histoire de YouTube. Enfin, la comédienne afro-américaine Leslie Jones reçut une salve de menaces racistes à la sortie du film outre-Atlantique. Pourquoi tant de haine - mais surtout, que mangent ces gens au petit-déjeuner ?
Caméo. Revenons-en au sacro-saint film originel d'Ivan Reitman (1984), où Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis et Ernie Hudson formaient un quatuor rigolo de scientifiques marginalisés, puis glorifiés pour leurs activités paranormales. Sigourney Weaver y était possédée par un démon logé dans son frigo qui s'emparait de Manhattan avec d'autres créatures odieuses. Le remake de Paul Feig relève de l'exercice d'équilibriste : restituer fidèlement l'esprit du premier film tout en s'en affranchissant. Féminisé, le buddy movie entre garçons voit ainsi ses codes détournés : ici, une physicienne prof à Columbia retrouve une ancienne acolyte de lycée et sa nouvelle collègue, toutes deux chercheuses ésotériques dans une université de seconde zone. Une employée du métro rejoint cette petite équipe qui prend du service lorsqu'une horde d'ectoplasmes frénétiques est lâchée sur la ville.
Pour les amateurs les plus sourcilleux, tout y est : bureau miteux, créatures apocalyptiques, fusils à protons et même un caméo de Bill Murray. Le charme déréglé de cette comédie new-yorkaise opère par endroits, rehaussé d’apparitions de la fine fleur de la comédie US. Entre-temps, une nécessaire mise à jour a eu lieu, avec un casting plus inclusif qui valorise, entre autres, son personnage afro-américain. Le film s’inscrit aussi avec délectation à rebours des stéréotypes sexistes du premier S.O.S. Fantômes, où figurait une secrétaire débile au point de ne pas savoir décrocher le téléphone. Ici, le réceptionniste attardé n’est autre que Chris Hemsworth, colosse de la franchise Thor et bellâtre patenté qui a du mal à aligner deux mots. Surtout, l’enjeu n’est plus de déterminer qui des hommes ou des femmes maîtrise la technologie et le savoir à l’écran, comme dans Spy du même Paul Feig, détournement féminin des canons du film d’espionnage. Chantre de la comédie progressiste, scénariste, cinéaste et producteur, compagnon de route de Judd Apatow, celui-ci possède a priori la «geek cred» nécessaire à l’entreprise, avec à son actif l’une des plus belles séries sur l’adolescence, Freaks & Geeks. Son féminisme lui aura pourtant aliéné une minorité indécrottable du public depuis qu’il écrit pour son alter ego, Melissa McCarthy, comédienne atypique dans le paysage normatif hollywoodien.
Geeks. Que lui reproche-t-on ? D'abord, si la légèreté entraînante de la franchise demeure, quel que soit son casting, l'ennui serait plutôt de ne pas saisir à qui le film peut bien s'adresser (ados, adultes, adulescents ?). Ensuite, le style de sophistication terre à terre pratiqué par Feig tombe ici parfois à plat - à sa décharge, le premier volet était loin d'être hilarant. La franchise originelle avait contribué à légitimer une peuplade mal aimée à l'époque, les scientifiques. Les femmes occupent peu ou prou aujourd'hui au cinéma la position périphérique des geeks d'antan qui ont depuis pris le pouvoir grâce aux blockbusters de super-héros et participent de la fétichisation outrancière du S.O.S Fantômes original. Notre déception procède ainsi d'un manque criant dans la variété des représentations féminines à Hollywood, dont Feig reste l'un des trop rares champions. Pas déshonorant, le film n'est toutefois en mesure de remplir véritablement aucune des diverses attentes, toutes démesurées, qu'il pouvait susciter.