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Libération
Critique

«Rodéo» rue dans les codes du genre

Le Brésilien Gabriel Mascaro s’attache à une troupe de cow-boys et girls, avec sensualité et simplicité.
Alyne Santana dans «Rodéo», de Gabriel Mascaro. (Photo DR)
publié le 6 septembre 2016 à 20h01

La vaquejada est un sport pour le moins curieux. On lâche un taureau dans l'arène et deux cavaliers le poursuivent pour tenter de lui attraper la queue et de renverser l'animal. Ces tournois sont extrêmement populaires dans le Nordeste du Brésil. Boi Neon (qui sort en France sous le titre Rodéo) se déroule entièrement dans cet univers, chroniquant l'existence laborieuse et perplexe de quelques individus qui travaillent dans les coulisses de ces spectacles itinérants. Le personnage principal est un garçon vacher d'une trentaine d'années, Iremar (Juliano Cazarré), qui se trimballe avec un troupeau dans un camion qui sert à la fois d'étable et de maison. Avec lui, il y a Galega (Maeve Jinkings), une jeune femme qui fait office de chauffeur routier, mécano et attraction sexy pour le public masculin surchauffé des rodéos.

Queer low-fi

Tous les éléments du pittoresque local sont a priori regroupés pour une fiction charpentée où il serait question des conflits et amours des personnages sur fond de mugissements et de poussière. L’artiste-photographe et cinéaste originaire de Recife, Gabriel Mascaro, choisit plutôt la lente immersion dans un anecdotique exceptionnel, ne soulignant ni n’expliquant rien du donné existentiel qui s’offre ainsi à nous dans la belle simplicité des jours qui passent. Ainsi, les rôles sont constamment bousculés puisqu’Iremar, cow-boy viril, adore à ses heures perdues s’adonner à des travaux de couture, quand il ne crayonne pas des vêtements aux filles à poil dans les magazines pornos que laisse traîner son assistant empoté. Il rencontrera une femme (enceinte) qui vient vendre du parfum au milieu même du festival de bouse de vache où il bosse, et ils copuleront quelques nuits plus tard dans une fabrique de vêtements où elle est vigile. On ne sait trop si cette redistribution progressiste des attributs de genre s’opère par la seule volonté du cinéaste ou provient d’un examen documenté mais du moins, elle bouscule par une sorte de queer low-fi l’imagerie attendue du post-western.

Transferts poétiques

Chaque scène, chaque geste est ici lesté d'une perceptible sensualité à la fois lumineuse et sale, parce que la promiscuité des hommes et des animaux établit un continuum d'espèce et de désir, articulant ensemble les mains, la peau, le cuir, les sabots, l'attente, la faim et la jouissance. C'est là où le film est le plus saisissant, d'être à la fois aussi littéral jusqu'au comique quand un des personnages est aspergé de foutre de cheval ou que les cow-boys se traitent mutuellement de porcs et, en même temps, raffiné dans les transferts poétiques qui ne cessent de passer d'un plan à l'autre entre la chaleur du troupeau et la moiteur du groupe. La lumière lustrale du film est signée du même chef opérateur mexicain, Diego Garcia, qui avait signé l'image du Cemetery of Splendour d'Apichatpong Weerasethakul.