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Courage

Irène Frachon, croisade au long cours

Mediator, le procèsdossier
La pneumologue bretonne a participé à l’élaboration du film qui retrace son combat contre le laboratoire Servier et pour l’indemnisation des victimes.
Irène Frachon à Plougonvelin, le 16 mai 2016. (Photo Vincent Gouriou pour Libération)
publié le 22 novembre 2016 à 19h46

C'était une scène troublante que celle entraperçue, ce soir-là, au Gaumont-Opéra à Paris (IXe) lors d'une première du film la Fille de Brest : s'y trouvait, assises côte à côte, Irène Frachon et l'actrice danoise Sidse Babett Knudsen (découverte dans la série Borgen). Laquelle joue le rôle de la première dans le film d'Emmanuelle Bercot. Elles sont là, toutes les deux, hésitantes et si chaleureuses entre elles. Tout se mélange. L'actrice dit de sa voisine : «C'est une personne qui m'inspire. Une véritable héroïne. Je ne suis pas comme ça, moi… Quelle créature peut être remplie à ce point de son combat, d'une mission ?» Irène Frachon écoute.

Elle est devenue une icône. Avec la promo massive autour du film, elle investit encore un peu plus une place unique dans l'époque. Il faut se promener avec elle, ou assister à quelques débats au cours desquels elle raconte sans relâche son histoire, pour voir combien elle est regardée, auscultée, admirée. Jamais un mot critique n'est formulé à son égard, pas plus que la moindre réserve. On l'écoute, on la fête, on l'applaudit. Et l'on n'a pas tort. Car cette Bretonne, alors jeune pneumologue au CHU de Brest, s'est battue avec un courage peu commun pour imposer cette évidence clinique qui lui sautait aux yeux : le Mediator, prescrit pour enlever quelques kilos de trop, se fonde sur une molécule dangereuse, provoquant des valvulopathies gravissimes, et le laboratoire Servier a sciemment caché les particularités métaboliques de cette molécule pour en vendre le maximum. En juin 2010, son livre Mediator 150 mg : combien de morts ? aboutira au retrait du médicament.

Rapaces

S'il faut s'émerveiller d'Irène Frachon, c'est plutôt pour la suite. Lorsque tout le monde lui disait, amis comme confrères : «Allez, c'est bon, Irène, tu passes à autre chose, il faut tourner la page», elle ne les a pas écoutés. Elle a continué. «Mon objectif absolu, c'est le combat pour les victimes», nous disait-elle encore cet été. Et elle avait mille fois raison, tant les choses ont traîné, pour durer encore. La commission d'indemnisation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) passant son temps à culpabiliser les malades, à chipoter sur leurs dossiers, à les regarder comme des rapaces et non pas comme des victimes, Irène Frachon n'a rien lâché.

Et pour tenir dans ce combat sans fin, elle s'est révélée prête à tout. Jusqu'à participer directement au scénario puis à l'élaboration de ce film dont elle était l'héroïne. Le risque était grand d'une personnalisation à outrance, mais Irène Frachon s'en est moquée, jugeant cette publicité nécessaire pour avancer. «J'ai reçu 250 000 euros pour le film, a-t-elle expliqué (1). Un tiers a été versé à une fondation qui forme des visiteurs pour les hôpitaux. Le reste, c'est mon trésor de guerre, car la guerre n'est pas terminée… J'ai ouvert un compte Mediator qui paye ainsi mes voyages, ou pour aider des malades pour une expertise, un examen spécialisé, ou simplement pour qu'une personne aille rendre visite à ses enfants qui habitent loin alors qu'elle attend depuis six ans son indemnisation…»

«Guerre»

Irène Frachon se retrouve au final dans une situation rare, partie prenante d'un film à sa gloire. Mélange des genres bizarre et troublant qu'elle justifie sans hésiter. «La guerre n'est pas finie. Les victimes ont de petits moyens. Elles sont maltraitées, méprisées, piétinées par Servier», insiste-t-elle. Il est vrai que, sans elle, le combat se serait arrêté. L'Oniam aurait continué à traîner les pieds, la presse ne reprendrait pas l'information comme quoi la Chaîne de l'espoir, qui opère des enfants de pays pauvres de malformations cardiaques, est aujourd'hui en partie financée par Servier. Bref, sans elle, l'opinion se serait lassée. «C'est la pire des choses : s'habituer. Je n'arrêterai pas avant que la dernière victime ne soit indemnisée», dit-elle. La voilà enfermée, pour les besoins de son combat, dans un rôle sans contrepoint, nul n'osant plus la critiquer. Et de ce fait, figée dans une image d'héroïne parfaite. Ce qu'elle n'est heureusement pas.

(1) Dans un entretien au monde.fr