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Libération
Hommage

Frémaux en habits de Lumière

Le délégué général du Festival de Cannes et directeur de l’Institut Lumière à Lyon relate avec ferveur les premières années de l’invention du cinéma.
«L'Arroseur arrosé» (1895), des frères Lumière. (Photo Ad Vitam)
publié le 24 janvier 2017 à 17h56

Chut, nous pénétrons dans un mausolée. Lumière ! L'aventure commence présente une sélection de 108 des 1 422 films réalisés par les frères Lumière et leurs opérateurs durant la décennie 1895-1905. Le choix de ces «vues Lumière» a été opéré par Thierry Frémaux, sous l'impulsion de Bertrand Tavernier, ensemble à la tête de l'Institut Lumière, à Lyon. Cette avalanche de reliques est digeste : tel un bébé qui commence à marcher (sujet par ailleurs traité dans un des films), ces minimétrages de cinquante secondes se dotent peu à peu d'une dramaturgie qui dépasse leur caractère historique ou leur valeur testimoniale : première chute, premier hors-champ signifiant… La mise en scène de cette vie qu'il faut faire entrer le plus rapidement possible dans un intervalle de temps immuable prend le pas sur le reste. Il faut montrer, tout et vite, avec des flux chorégraphiés, des coulées massives sur grand écran : les sorties des usines Lumière, les opérateurs quittant leur barque, les officiels tunisiens descendant un escalier… Et un chien. Souvent, comme chez Chaplin, un chien traîne dans ces moments de célébration collective. Dans le geste de ces pionniers qu'on pourrait croire naïf est aussi inscrit tout ce que le cinéma peut faire : trucages plateau, mécaniques, même la bouteille de cognac sur la table… tout est mise en scène, explique Frémaux.

Y compris quand les opérateurs parcourent le monde en documentaristes pour en capter des bribes. Ils veulent filmer le naturel, mais dès que la caméra tourne c’en est une altération qu’ils enregistrent : les interrogations des figurants, les passages et repassages devant l’objectif, la curiosité face au type à manivelle et la volonté de se pousser du col sont les mêmes de Marseille au Tonkin. Et quand le naturel est trop piquant (tel ce bœuf qu’on charge dans un bateau en Asie et qui tombe), l’opérateur pudique détruit le film et se réinsère dans les clous d’une certaine imagerie rassurante. Ah, les danses folkloriques mexicaines. Ah, le sourire d’une enfant des antipodes. Par-dessus ces œuvres muettes, indiquant le contexte de chaque pièce, la voix de Thierry Frémaux résonne d’incessants hommages. Chaque cadre est exceptionnel, chaque vue un chef-d’œuvre. Alors par exemple qu’un des films cherche à s’inscrire dans une certaine histoire et fait un clin d’œil à une photographie qu’il reproduit en images animées (une cordée en haute montagne), Frémaux, lui, a plutôt tendance à réduire le périmètre du cinéma au cinéma. Tel un conservateur de musée, il met en valeur ces superbes artefacts restaurés en devisant studium égyptien ou punctum du maillot de bains. Des boucles de Camille Saint-Saëns complètent le tableau. A quand une reconstitution du hors-champ sonore avec la voix de synthèse d’un Louis Lumière gueulant : «Allez-y, dépêchez-vous, avancez ! Auguste, vas-y, lâche le chien !» ?