L'histoire des films a ceci de commun avec celle des luttes politiques qu'elle est constituée en séries de précédents, qui n'ont pas besoin de recevoir les noms d'«influences» ou d'«héritages» pour opérer dans le temps : l'une et l'autre s'écrivent comme un défi à la généalogie. Au moment de parler d'un documentaire retraçant un épisode toujours en cours sur le territoire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), on pourra se souvenir que les grands films «contre l'aéroport et son monde» ont été faits au Japon, quatre ou cinq décennies plus tôt, par un collectif réuni autour du cinéaste Shinsuke Ogawa.
Parmi les sept films tournés de 1968 à 1977 à Sanrizuka avec les paysans résistant à la construction de l’aéroport de Narita, près de Tokyo, les moins difficiles à trouver de ce côté-ci de la planète apparaissent comme ce que le cinéma documentaire a produit de plus épique et de plus vrai. On y découvre aussi bien la détermination contre la police et les milices de la compagnie de construction que la conscience claire, dans les actions et les discussions des paysans, de ce moment où la préservation d’un mode de vie villageois et agricole (donc la continuation ou la réinvention d’usages et de relations existantes) devient une position révolutionnaire et non réactionnaire, une force de transformation et de résistance, et non de repli.
Les Pieds sur terre, de Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller s'inscrit, certes, dans un autre style que celui de l'objectivité radicale et lyrique d'Ogawa Productions, dans la série de ce précédent japonais en filmant les habitants du Liminbout, un hameau à la lisière de la ZAD où des fermiers ont décidé de rester et de produire en ignorant l'injonction à céder leurs terres à l'entreprise Vinci, et de maintenir un bon voisinage - des alliances, quand ce ne sont pas des amitiés - avec ces «zadistes» que certaines représentations font voir comme des occupants indésirables et illégitimes. En choisissant de prendre les choses par la douceur et l'empathie documentaires les plus limpides («ici des êtres vivent et parlent…») et par le bon sens le plus indiscutable («…et de surcroît, écoutons-les, n'ont-ils pas raison ?»), la réalité composite et quotidienne du film l'emporte immédiatement, chez le spectateur, sur toute forme d'interprétation, précisément en la rendant possible à nouveau - en l'invitant à en savoir plus. Où le documentaire devient la base de toute réflexion : partir de ce qu'il se passe, c'est mieux voir tout ce qu'on peut faire. Film de réinformation bienvenu, les Pieds sur terre est aussi un traité de composition, sur la simple question de comment faire ensemble ce que chacun a toutes les raisons de désirer.