«Il aurait été plus logique que le film muet naisse du parlant plutôt que l'inverse», déclarait la star Mary Pickford en 1927, au moment où le second allait remplacer le premier. Wonderstruck de Todd Haynes, premier temps fort de la compétition présenté jeudi, n'est pas un simple hommage aux silent movies, qui prendrait pour prétexte la surdité de ses personnages. Plutôt qu'un nostalgique «retour à», il nous propose quelque chose qui se rapproche de la généalogie inversée de Mary Pickford (les actrices ne croient pas au progrès, ce vieux mythe, mais à la logique).
Wonderstruck est bien un film sourd plutôt que muet, et qui n'aurait pas perdu l'ouïe - il est d'ailleurs, comme ses ancêtres du futur, entièrement nappé de musique - mais plutôt gagné la faculté de ne rien entendre. Que ce soit pour mieux voir ou pas, ou pour voir autrement, ce n'est pas sûr, c'est une question remise à plus tard dans la lutte des sens. Toujours est-il que le muet est né du parlant, comme le cinéma est né de la télévision, qui est née d'Internet. Le muet, cherchant, par provocation, à couper les ponts avec sa famille, a enfanté la photographie et la peinture, le théâtre et la poésie, et bien sûr la musique. Etc. Mais pourquoi tu pleures ? Tais-toi et regarde les belles images, les vieilles images sourdes qui ne disent rien : sans voix, elles sont fausses comme des souvenirs dont tu n'as plus besoin, les souvenirs d'un futur qui s'est éloigné d'un coup. Tous les films parlent de la même chose et ils finissent pareils, «tout ça n'était qu'un rêve» : il est clair qu'à Cannes, tu n'as pas assez dormi.