Qu'importe la valeur que l'on accorde à la moisson de telle ou telle édition plus ou moins encombrée de chefs-d'œuvre tétanisants. C'est un peu plus éloquent chaque année, les sélectionneurs des différentes sections du Festival se rêvent en chefs de bureau d'une armée de correspondants disséminés à travers la planète - les cinéastes. En grand chambellan de la plus prestigieuse sélection, Thierry Frémaux semble plus que jamais endosser le rôle du super-rédacteur en chef d'un hybride de Courrier international et d'une chaîne d'info en continu, promettant à chaque conférence de presse ou introduction de séance des films qui «visitent un état de la société» de leur pays ou «donnent des nouvelles» de leur coin de continent - spoiler, elles ne se révèlent jamais très folichonnes : la crise, tout ça…
Parcourir cette année les sélections parallèles, c'était mesurer aussi combien l'officielle n'est de loin pas seule à se concevoir selon ces termes, qui déplacent le curseur des attentes que l'on peut fonder dans un grand festival de cinéma. Où l'on va certes à la rencontre de voix, d'idiomes et d'accents distants, mais dont on peut se raconter que la gravité et l'urgence de rendre compte des ravages de la gentrification mondialisée ou de la déliquescence par les réseaux sociaux pourraient céder un peu de terrain à la libre invention d'une langue propre, susceptible d'enrichir celle du cinéma, et ainsi nos visions du monde. En compétition, cette année, jusque parmi nos enthousiasmes, trop rares furent les objets croisés qui, à l'instar de grands films triomphalement passés par Cannes il n'y a pas si longtemps (de Pulp Fiction à l'Anguille, de Mulholland Drive à Oncle Boonmee), s'autorisaient à passer outre la mission d'éditorialiser le présent, pour se fixer l'ambition d'offrir plus de nouveau que de nouvelles. Il n'y avait guère que le grand Hong Sang-soo pour oser enfermer sa caméra dans l'intimité en huis clos d'un marivaudage et y faire énoncer à un visage aimé : «Je ne sais s'il est réel ou non, mais moi je veux croire à ce monde.»