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Libération
Cinéma

«Cas de conscience», idées noires

Vahid Jalilvand examine la lutte de deux hommes pour rendre justice après la mort d’un enfant. Une vision très (trop ?) pessimiste.
Défense d’appeler les poulets. (Damned Distribution)
publié le 20 février 2018 à 20h16

Tout commence par une légère déviation, une petite sortie de route qui fera accidentellement se rencontrer deux hommes et deux mondes : en Iran, une nuit, tentant d’éviter un chauffard, l’éminent docteur Nariman renverse une famille pauvre entassée sur un scooter. Le fils de 8 ans semble légèrement blessé, le médecin l’ausculte rapidement et conseille à ses parents de l’emmener à l’hôpital. Deux jours plus tard, le corps de l’enfant arrive à l’institut médico-légal. L’autopsie conclut à une intoxication alimentaire mais Nariman pense avoir de bonnes raisons de douter. Lui et le père vont alors agir au nom de ce petit mort pour, chacun avec les armes de sa condition et de sa classe - la science ou l’action, le pouvoir ou la violence - connaître la vérité et lui rendre justice.

Parabole. Cas de conscience est un drame social construit sous forme d'enquête. Sa façon de passer par le fait divers pour explorer les rouages rouillés d'une société profondément divisée et sourdement violente évoque certains films italiens des années 60-70, tels ceux de Francesco Rosi ou Damiano Damiani où le néoréalisme s'était transmuté en polars politiques (l'acteur principal, Navid Mohammadzadeh, ressemble d'ailleurs étonnamment à Gian Maria Volontè). Très sec et noir, il colle à l'enchaînement implacable des faits sans forcer la parabole. L'important n'est pas la réponse à la question que se posent les deux hommes - de quoi l'enfant est-il mort ? - mais le cheminement éthique dans lequel les mènent leur recherche, leurs tourments, leur colère. Et le film est trop pessimiste pour que cela devienne un tant soit peu édifiant : la prise de conscience est proportionnelle à la chute. Si l'identité du coupable n'importe pas vraiment, c'est parce qu'au fond aucun ne l'est totalement et tous le sont un peu. Et c'est dans cette impossibilité à cristalliser la faute sur un seul être que réside la véritable tragédie, celle d'une culpabilité partagée, généralisée.

De quoi est mort l’enfant ? De la négligence des adultes, qu’elle soit simple distraction ou conséquence du besoin de survivre. Plus précisément, il faudrait parler de la négligence des hommes, car les femmes (la mère, la médecin légiste) tentent de ramener ici un peu de raison et de dignité là où leur autorité est pourtant constamment niée ou rabaissée.

Salaud. Dans ce film sur la difficulté de juger, le cinéaste iranien Vahid Jalilvand, dont c'est le deuxième long métrage après Mercredi 9 mai, évite de surplomber ses personnages. Aucun n'est un salaud, tous ont leurs raisons. Le malheur des deux protagonistes est même d'avoir une conscience, un sentiment de culpabilité et un sens de l'injustice, auxquels ils répondent en faisant face courageusement, même si ce courage arrive trop tard et qu'il n'est parfois, dans le cas du père, qu'un dernier sursaut de désespoir. Oui, c'est très noir, mais aussi captivant.