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Libération
Cannes 2018

Hors-service : premier jour

publié le 8 mai 2018 à 19h46

Ces prochains jours, les débordements lacrymaux et autres gouttes de sueur de corps troublés n'iront pas exclusivement couler vers la jetée Albert-Edouard pour ainsi finir leur course plus loin dans le golfe de la Napoule, qu'on se le dise. Certains ont un peu trop tendance, semble-t-il, à imaginer que Cannes tend à garder pour soi le monopole des émotions fortes, dans cet écrin d'instant-cinéma riche en illusions et hallucinations. Le monde ici bas continuera de tourner… peut-être à vide. La Croisette peut bien se garder ses fiers palmiers étranglés de guirlandes haute consommation, son tapis écarlate pour perte de vue, son microcosme où se bataillent les contradictions. S'y mêleront les journalistes prêts à brûler en scooter dans leur costard-cravate, touristes à Crocs pailletées, divas diaphanes enrobées dans du Balmain, chihuahuas endimanchés, la liste est (trop) longue… la plupart armés de perches à selfies tendues comme des lances de Don Quichotte, prêts à immortaliser leurs plus belles moues dans une éternité de Riviera au filtre Amaro. Que va-t-il se passer pour nous autres alors, condamnés à errer dans des bureaux promis neufs mais déjà en voie de décomposition précipitée ? Eh bien, on va regarder du cinéma faire son cinéma, accueillir du cinéma, de loin, tel un corps de veille aux écrans jamais complètement éteints. De son côté en tout cas, Paris arrive rarement à coller proprement Penélope Cruz dans ses colonnes Morris. Souvent l'égérie d'Almodóvar - attendue au côté de son époux, Javier Bardem, dans le film d'ouverture Everybody Knows d'Asghar Farhadi - est condamnée à avoir la figure décalée par le marouflage bâclé, comme si elle portait le masque de son propre visage. Etrange image, mais si belle pour une ouverture cannoise, ces douces festivités dorées qui aiment fièrement afficher comme une nouvelle peau la vitrine édulcorée de ce qu'elle semble depuis toujours annoncer, son même cinéma.