Retour en majesté à Cannes pour le Colombien Ciro Guerra, qui s'y était révélé avec ses deux précédents films, et notamment le succès surprise de la dérive chamanique l'Etreinte du serpent en 2015. Fort de l'enthousiasme alors éclos sur la Croisette, de jolis succès en salles et d'une nomination aux oscars, il lui revient cette fois d'ouvrir la Quinzaine des réalisateurs avec un quatrième long métrage, les Oiseaux de passage, coréalisé avec son épouse et productrice, Cristina Gallego, où partout apparaît sensible, pour le meilleur et surtout le pire, la montée en régime, tous curseurs inflationnistes poussés à fond, des appétits d'investisseurs comme des moyens de production.
Si le premier des cinq «chants» qui architecturent cette ambitieuse fresque familiale s'ouvre en 1968 (pour courir sur une douzaine d'années), il ne faut pas redouter ici une nouvelle louche de Mai en boîte versée à l'overdose commémorative en cours : le récit s'enracine à mille lieues des pavés et de la plage, dans le désert de la Guajira, à la pointe nord du territoire colombien. Là, la communauté indigène wayyu mène encore une vie scandée de rites ancestraux et d'oracles panthéistes, lorgnant d'assez loin et pleine de défiance tout ce qui s'apparente à un «étranger» (hispaniques postcolonisateurs, Afro-Colombiens issus de l'esclavage ou missionnaires de l'anticommunisme américain, venus planter les graines du capitalisme heureux entre deux joints de pure). L'un des indigènes, parce qu'il se verrait bien épouser la fille de la fière matriarche de l'une de ces vieilles familles, va toutefois entreprendre de pactiser avec envahisseurs et lointains cousins, pour concilier ainsi tous les mondes embrassés à l'ère moderne par le pluriculturalisme colombien, suscitant d'abord la fortune puis la perte du clan, dans un très prévisible bain de sang. Et d'un Nouveau Monde au monde nouveau, au rythme des chants, tandis que le family business psychédélique fait florès, la polysémie du titre de se mettre au jour, d'oiseaux de (mauvais) présages en coucous convoyant la dope vers le marché nord-américain.
Passé un énergique prologue fort en danses, costumes et poses chorégraphiées sous un soleil idéal, le film ne tarde pas à dénuder son vaste projet de repeindre la énième revisitation de ruines du Nouvel Hollywood réduites à un parc d’attractions (abscisse Peckinpah, ordonnée Coppola) aux pittoresques couleurs locales. Décalqués avec un inoxydable esprit de sérieux et un savoir-faire assez sûr, ses gros plans d’insectes et ambitions narratives de grand roman latino-américain s’enrobent d’une plastique avantageuse qui confine souvent à la photographie filmée, option carte postale ethno-folklorique. Où jamais les personnages de Guerra et Gallego n’y paraissent disposer d’eux-mêmes, pauvres figurines sculptées d’un bloc, ployant toutes sous une tonne d’allégorie monocorde.