La conférence de presse cannoise de Jean-Luc Godard, en son absence ou presque, aura donc eu lieu via l'application Facetime, sur l'écran d'un téléphone. En créant un précédent technique, ce petit événement semblait mettre fin à un vieux rituel, mais pour en créer aussitôt un nouveau, fait d'un mélange, si godardien, de comique et de solennité. Comme dans son dernier film, l'image apparaissait petite, intermittente et fragile, quand le son de la voix, retransmis par les haut-parleurs, emplissait tout l'espace. «Mais la voix n'est pas la parole, et la parole n'est pas le langage», disait la voix. Ces journalistes en file indienne, s'approchant à tour de rôle du petit écran tenu à bout de bras par son complice Fabrice Aragno, se penchant pour poser leur unique question tremblante à la face amène du cinéaste, entourée de volutes de fumée, étrangement proche et infiniment lointaine : on se serait soudain cru à Delphes, dans la file d'attente pour l'oracle. Et la pythie de Rolle livrait sans ambages, en formules claires et obscures, bien des clés de son dernier film, sinon «la clé du cinéma» lui-même : et quand on parle de clé, dit-elle, «il ne faut pas oublier la serrure». Ce petit écran portatif en direct de l'Olympe était bien un trou, bouche d'ombre, dans le noir du temps. Tout Cannes, la Croisette, le Palais, la mer et le reste s'y engouffraient sans retour. «La démocratie baisse en Europe», avertit-elle : on dirait la muse de l'Histoire, prête à raccrocher sans prévenir, et on dirait que ça l'amuse, de nous laisser ainsi face au temps.
Restons palme
Face au temps
Cannes, le 13 mai 2018 : ambiance
par Luc Chessel
publié le 13 mai 2018 à 21h16
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