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Libération

Shûji Terayama, l’empereur de l’underground

A Pantin, «Focus Japon» permet de s’immerger dans l’œuvre controversée et anar-chic du cinéaste.
publié le 8 juin 2018 à 19h36

L'avant-gardiste Shûji Terayama (1935-1983), cinéaste, écrivain, poète, dramaturge, mais également boxeur, se distingue comme l'une des plus grandes figures de la contre-culture japonaise des années 60 et 70. L'homme ascendant beatnik a continuellement repoussé les limites et les interdits à grands renforts de vacarmes sexués, films controversés où l'on trouve des pré-ados guérilleros décidés à renverser le monde des adultes pour pouvoir exprimer librement leur sexualité. Alors que Devant mes yeux le désert - son seul livre jamais traduit en français au début des années 70 - vient tout juste d'être republié aux éditions Inculte, trois de ses films sont présentés dans le cadre de Focus Japon lors du festival Côté court(lire ci-contre).

Le court métrage Butterfly Dress Pledge (1974), en premier, déploie ses ailes travesties et poudrées de maquillage tandis que dans Laura, trois performeuses se contorsionnent et pourfendent le quatrième mur : «Nous ne sommes pas que des lumières et des ombres à l'écran. Nous avons des yeux, tout comme vous.»

Mais le grain de sésame sur le hamburger sera la projection de l'Empereur Tomato Ketchup, l'un de ses films les plus célèbres - un rêve touché de fièvre où l'on voit s'étendre le règne autoritaire de l'enfant Tomato. A partir de sa propre pièce radiophonique la Chasse aux adultes (1960), Terayama présente une adaptation cinématographique en 1971, qui déploie la subversion sur divers plans formels et thématiques - notamment la dissolution littérale et la remise en liberté de ses personnages par l'usage de la surexposition d'images à l'écran. Immédiatement censurée, l'œuvre surréaliste et d'une violente charge provocatrice est d'abord sortie dans une version raccourcie, longue de vingt-neuf minutes. La version intégrale et non censurée n'a commencé à être exploitée qu'en 1996, treize ans après la disparition de l'auteur.

Que raconte le film ? Emergeant d’une fumée mêlée de sang pourpre, le «petit empereur» énonce des règles qui condamnent les adultes paternalistes, les fabricants de jouets, les auteurs de contes de fée à la prison, et les gardiens de centres de prison juvénile à l’exécution. L’utopie transgressive laisse couler dans ses séquences enivrantes les rencontres érotiques. On y trouve des hybrides de sorcières-geishas, à la fois mères et étranges maîtresses. Les représentations de ces corps que Terayama capte dans un jeu de séquences élégantes et labyrinthiques ont inspiré par la suite bon nombre de cinéastes, dont Bertrand Mandico qui viendra présenter cette séance.