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La Mostra prend le rétro

Avec deux tiers des films en lice se déroulant dans un cadre historique, la compétition du festival de Venise ressemble souvent à un vain défilé de costumes d’époque. Bonne surprise toutefois : le western de Jacques Audiard, «les Frères Sisters».
«Les Frères Sisters» de Jacques Audiard. (Photo DR)
publié le 4 septembre 2018 à 17h06
(mis à jour le 4 septembre 2018 à 18h04)

Une chose frappe à mesure que l'on voit défiler les prétendants au lion d'or dans cette 75e Mostra de Venise : les intrigues respectives de quatorze des vingt et un films en compétition se déroulent avant le XXIe siècle : un au XVIIIe, six au XIXe, sept au XXe. Il n'est pas interdit, surtout si l'on précise que quatorze films sur les vingt et un durent plus de deux heures, de ressentir une certaine overdose de robes à crinolines, de bruits de sabots, d'opérations sans anesthésie et de clair-obscur. Il nous arrive même de nous étonner de voir qu'ailleurs, dans d'autres sélections d'une arrogante contemporanéité, des cinéastes osent filmer des voitures, des femmes en pantalons, des types qui téléphonent.

Bien sûr, tous les réalisateurs ne font pas la même chose du passé et de l'histoire. Il y eut le tableau tendre et virtuose du Mexico de son enfance dressé par Alfonso Cuarón dans Roma, vu aux premiers jours du festival (lire Libération de samedi), comme il y a ceux qui, tel Yórgos Lánthimos, se gaussent des costumes et des mœurs supposés ridicules de toute une cour, celle d'Anne d'Angleterre. La Favorite, avec ses personnages tout droit sortis de Meurtre dans un jardin anglais, nous fait sourire cinq minutes avant que l'on comprenne que son cynisme et son mépris sont systématiques et mortellement répétitifs. Le passé n'est ici qu'un décorum où l'on plaque du présent - une danse vaguement disco, des plans filmés à la caméra GoPro, des mœurs d'aujourd'hui - juste pour la rigolade.

«La Favorite», de Yórgos Lánthimos. Photo DR

Lourdeur extrême et ton narquois

Il y a aussi les cinéastes qui regrettent de ne pas être nés plus tôt. Quand Luca Guadagnino situe son grotesque remake de Suspiria de Dario Argento dans le Berlin de 1977, il ne cherche pas seulement à placer cette histoire de sorcières dans une douteuse perspective historique ; à coup de citations et de décalques, il veut aussi croire qu'il est un cinéaste de l'époque, un mélange de Zulawski, de Friedkin et de Fassbinder (subtil cocktail). Se distanciant d'Argento, il développe le scénario de ce dernier avec un sérieux pontifiant, ouvrant des perspectives psychanalytiques et politiques d'une lourdeur extrême. En ancrant cette histoire de sorcières dans un contexte historique, il perd toute la dimension de conte médiéval et de sauvagerie baroque qui faisaient la force intemporelle de la première version.

Les frères Coen ont aussi toujours eu conscience de s'inscrire dans une histoire du cinéma, mais sans la naïveté cinéphilique de Guadagnino. Leur sens de l'absurde, parfois pris pour du cynisme, est un constat qu'il n'y a plus d'innocence possible lorsque l'on revient sur les lieux, les récits et les genres d'un cinéma disparu. The Ballad of Buster Scruggs, réalisé pour Netflix, est un western qui veut démontrer l'impossibilité de faire encore du western. Parce que le cinéma et l'Amérique ne sont plus les mêmes. Le film est composé de six petits contes cruels au bout desquels les personnages trouvent toujours une mort brutale ou idiote, comme seule réponse à leurs ambitions ou rêves. Le rêve américain, et donc le western, devient ici un gâchis absurde, où l'intelligence et la douceur ne peuvent survivre. A ce propos pessimiste répondent malheureusement un ton narquois (dans leur veine cartoonesque) et une plastique laide, calibrée pour le petit écran (Netflix oblige) qui en font l'un des plus mauvais Coen.

Le western de Jacques Audiard (dont l'on n'attendait vraiment rien de bon) fut, lui, une bonne surprise. D'autant plus qu'il peut être vu comme une réponse à la noirceur goguenarde des Coen. Les Frères Sisters cherche aussi à évoquer le destin des Etats-Unis à partir du genre qui en a le plus célébré les mythes et les valeurs. Les personnages du film ont en commun de ne pas tout à fait se sentir à l'aise dans leurs bottes de cow-boys, ils sont en manque de tendresse, d'utopie et même d'hygiène. Partant d'un constat comparable à celui des Coen - quelque chose du présent pourri des Etats-Unis était joué dès leur fondation -, Audiard y répond par une fable politico-philosophique pas toujours très fine mais attachante. Nous y reviendrons lors de sa sortie en salle, le 19 septembre.

Modestie et didactisme

Enfin, il y a ceux qui cherchent à filmer l'histoire comme si nous y étions. Tel László Nemes qui, dans Napszállta, reprend le même dispositif d'immersion myope (caméra à l'épaule collée au buste des personnages dans un monde tout flou) que dans le Fils de Saul pour nous faire éprouver le trouble d'une modiste découvrant des complots politiques lors d'interminables déambulations dans le Budapest de 1913. Pour résumer de quel ordre est l'ennui procuré par cette indigeste démonstration de force, on dira qu'à force qu'il ne nous soit rien montré, on ne voit vraiment plus rien. Quitte à recevoir une leçon, on préfère la modestie de Peterloo de Mike Leigh, qui raconte de manière très claire les révoltes et répressions qui ont conduit au massacre de Peterloo à Manchester, le 16 août 1819. Le didactisme de Leigh rappelle celui des films historiques de Rossellini par la précision de la reconstitution et l'importance accordée à la parole, aux discours. Dans cette théâtralité, Leigh retrouve ce pour quoi il est le plus fort : une attention précise au langage, aux accents, ainsi qu'aux visages.

D'un film à l'autre, on constate que de façon générale tout cela n'est pas très nouveau, et même que cette surprésence de films à costumes renforce l'impression de déjà-vu, de répétition de formes déjà épuisées qui domine largement ici. Certes, la recherche forcenée de la nouveauté est un leurre mais lorsque les formes éprouvées ne se penchent même plus sur le présent, on a parfois le sentiment que le cinéma est devenu un musée de mauvaises reproductions. Et ce n'est pas un film comme Doubles Vies d'Olivier Assayas (avec Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne, Nora Hamzawi…), dépassé dans sa volonté d'être jeune et de se connecter à tout prix à la superficialité de l'époque tout en jouant à l'ironiste, qui nous réconfortera. A suivre, bien sûr.